Une vidéo mise en ligne sur le site du Monde mercredi a déclenché une vive polémique. On y voit Alexandre Benalla, collaborateur du Président de la République, frapper un manifestant à l’occasion des manifestations du 1er mai, casque des forces de l’ordre sur la tête et brassard de police à l’épaule.

Si une enquête préliminaire a été ouverte, de nombreuses voix se sont élevées pour souligner que la justice n’avait pas été saisie en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale.

Décryptage par Haritini Matsopoulou, professeur de droit à l’Université Paris-Sud et Expert du Club des juristes.

« L’absence de dénonciation  des agissements ne permet pas d’engager la responsabilité pénale »

L’article 40 du Code de procédure pénale a été évoqué dans le cadre de cette affaire. Quelles sont les prévisions de ce texte ?

L’article 40, alinéa 2, du Code de procédure pénale prévoit que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Ce texte s’impose, par exemple, aux autorités administratives indépendantes, telle que la CNIL (Crim. 3 févr. 1998, Bull. crim. n° 40), ou aux fonctionnaires, tels que les inspecteurs du travail  (Crim. 9 janv. 2018, n° 17-80.200) ou les « fonctionnaires de la DGCCRF » (Crim. 14 déc. 2000, Bull. crim. n° 380), qui, dans l’exercice de leurs fonctions, ont eu connaissance des faits délictueux. Mais, comme on l’a justement fait observer, le législateur n’a prévu aucune sanction en cas de violation de cette obligation.

Peut-on considérer que « l’Élysée », ses agents ou ses collaborateurs étaient tenus de dénoncer les agissements d’Alexandre Benalla le 1er mai dernier ?

Si l’on s’appuie sur les termes de l’article 40, alinéa 2, du Code de procédure pénale, on doit donner une réponse positive. Dès lors qu’une autorité, un officier public ou un fonctionnaire a acquis, dans l’exercice de ses fonctions, la connaissance d’un crime ou d’un délit, il est tenu de signaler les faits au procureur de la République. Selon les informations communiquées, l’Élysée a été informé des agissements imputés au collaborateur du Président de la République, puisque des sanctions disciplinaires ont été prononcées à son encontre. Les faits auraient dû être portés à la connaissance du magistrat du parquet.

Cependant, comme il a été précédemment indiqué, l’absence de dénonciation des agissements en cause ne permet pas d’engager la responsabilité pénale des personnes sur lesquelles pesait l’obligation de ladite dénonciation. C’est qu’en effet, une omission ou une abstention n’est pénalement sanctionnée que si un texte le prévoit expressément. Tel est, par exemple, le cas de non-dénonciation de crime (art. 434-1 C. pénal) ou de non-révélation de faits délictueux par un commissaire aux comptes (art. L. 225-240, al. 2, et L. 820-7 C. commerce). Contrairement aux hypothèses précitées où le législateur a pris soin de prévoir des sanctions pénales en cas de méconnaissance des obligations instituées, l’article 40, alinéa 2, du Code de procédure pénale reste totalement silencieux sur la question des sanctions applicables.

L’affaire Benalla a donné lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire. Qu’en pensez-vous ?

Selon les informations communiquées, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour violences commises par une personne chargée d’une mission de service public, usurpation de fonctions et usurpation de signes réservés à l’autorité publique. S’agissant de ces deux dernières qualifications, il semble qu’Alexandre Benalla portait, au moment où il avait été filmé, un casque de police ainsi qu’un brassard police. Or, l’article 433-12 du Code pénal sanctionne d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, par toute personne agissant sans titre, de s’immiscer dans l’exercice d’une fonction publique en accomplissant l’un des actes réservés au titulaire de cette fonction. Quant à l’usurpation de signes réservés à l’autorité publique, elle est définie aux articles 433-14 et 433-15 du Code pénal.

Toutefois, indépendamment des faits imputés à Alexandre Benalla, l’enquête pourrait aussi avoir pour objectif de rechercher les éventuels « complices » ayant fourni à l’intéressé « les moyens » (un casque de police et un brassard de police) permettant d’accomplir ces infractions. Enfin, on peut se demander pourquoi les fonctionnaires de police, qui ont assisté aux actes faisant l’objet de l’enquête, ne sont pas intervenus pour procéder à l’arrestation de l’auteur des faits, comme ils avaient le droit de le faire en vertu de l’article 73 du Code de procédure pénale (enquête de flagrance). Certes, il a été indiqué que « les CRS ne savaient pas forcément qu’il s’agissait d’un observateur, puisqu’il portait un casque de policier ». Cependant, on pourrait penser que la gravité des faits imposait une réaction immédiate de la part des fonctionnaires de police présents sur les lieux de la manifestation.

En tout cas, il n’appartient qu’à l’autorité judiciaire, saisie de cette affaire, de donner une réponse à ces différentes questions.

Par Haritini Matsopoulou