Le 28 juin dernier, l’Union européenne et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) se sont entendus sur un traité de libre-échange négocié depuis 20 ans, et touchant près de 770 millions de consommateurs.
Ce nouveau traité suscite déjà de fortes réticences. En France, une cinquantaine de parlementaires Les Républicains ont publié une tribune dans Le Parisien le 7 juillet pour contester l’accord qu’ils qualifient d’« erreur économique et horreur écologique ».

Décryptage par François Collart-Dutilleul, professeur de droit émérite de l’Université de Nantes, membre du Centre Lascaux sur les Transitions (CELT) et membre correspondant de l’Académie d’agriculture de France

« Pour les consommateurs européens, il ne devrait pas y avoir un impact important sur les prix parce que les réductions des droits de douane profiteront plutôt aux importateurs et aux distributeurs. »

En quoi consiste l’accord qui vient d’être conclu ?

L’UE a signé un accord commercial avec le MERCOSUR qui regroupe des pays d’Amérique du Sud, dont le Brésil, ayant établi entre eux un « marché commun ». La négociation de cet accord avait commencé en 1999. L’Union européenne a d’ores et déjà une quarantaine de tels accords en application et elle en négocie une trentaine d’autres, dont celui du Mercosur qui doit encore être approuvé par tous les États membres de l’UE et par le Parlement européen.

L’accord commercial avec le Mercosur a pour objet essentiel la réduction ou la suppression des droits de douanes entre les partenaires. On y trouve également des « règles d’origine » qui, complexes et techniques, sont nécessaires pour déterminer les produits soumis à l’accord. Quand une voiture est constituée de plusieurs dizaines de milliers de pièces qui viennent du monde entier, quelle est son origine géographique ? Est-elle bien européenne et relève-t-elle alors de l’accord si elle est exportée vers le Mercosur ? C’est l’objet des règles d’origine d’en déterminer les conditions.

L’accord avec le Mercosur comporte aussi des règles d’ouverture des marchés publics aux partenaires, des règles sur les investissements, sur le règlement des différends, sur les subventions, sur la concurrence, etc.

 

Quels impacts cette ouverture de marché aura-t-elle sur les consommateurs européens ?

Pour une part, importante, les difficultés rencontrées avec de tels accords viennent de ce qu’ils sont conçus globalement alors que leur application impacte le commerce de chaque produit séparément. Par exemple, l’Europe exporte des produits industriels (automobiles, industrie chimique…) et elle va tirer avantage de la baisse des droits de douane lors des exportations. Mais elle importe beaucoup de produits agricoles et alimentaires et la réduction ou la suppression des droits de douane à l’importation va avantager les producteurs du Mercosur dont les produits seront moins chers. Autrement dit, les industriels européens peuvent gagner et les agriculteurs européens peuvent perdre. C’est pourquoi l’accord prévoit aussi, pour certains produits sensibles, des « contingents tarifaires ». Ainsi, par exemple, la réduction des droits de douane ne concernera que 99 000 tonnes de bœuf importées en Europe en provenance du Mercosur. Au-delà de 99 000 tonnes, les droits de douane sont maintenus. Cela concerne également les volailles, le sucre et quelques autres produits encore.

Les agriculteurs européens qui sont en concurrence avec ceux du Mercosur ont donc des craintes de perdre des parts de marché et d’être entraînés par des baisses des prix.

Pour les consommateurs européens, il ne devrait pas y avoir un impact important sur les prix parce que les réductions des droits de douane profiteront plutôt aux importateurs et aux distributeurs. Elles ne seront sans doute pas répercutées sur les prix à la consommation. En revanche, les consommateurs seront peut-être incités à acheter des produits en provenance du Mercosur. S’ils sont produits à moindre coût qu’en Europe (en raison du coût du travail, de la fiscalité…) et s’ils ne sont pas soumis à des droits de douane, ils seront moins chers que les produits européens et donc attractifs pour le consommateur européen. Les agriculteurs français craignent cela.

Par ailleurs, certains pays du Mercosur appliquent des droits de douane à l’exportation, c’est-à-dire que les importateurs européens doivent payer ces droits de douane pour pouvoir acheter les produits en question. C’est le cas du soja OGM. La réduction de ces droits va donc encourager les importations en Europe de soja destiné à l’alimentation du bétail dans les élevages industriels européens. Cela va donc plutôt dans le sens d’un développement d’une agriculture intensive industrielle que dans celui du développement d’une agroécologie plus en phase avec la protection de l’environnement.

En outre, si l’accord entre l’UE et le Mercosur favorise l’agriculture d’Amérique du Sud, on peut craindre que les producteurs accentuent la déforestation, l’utilisation massive de pesticides, etc. L’accord peut alors avoir des effets environnementaux négatifs qui soulèvent des oppositions dans la société civile.

 

Les pays du Mercosur ont une législation plus souple en ce qui concerne le recours au pesticide ou autres molécules qui sont interdites en France. Les normes en ce qui concerne la sécurité des aliments sera-t-elle maintenue ?

On voit ainsi que si les effets globaux de l’accord sont économiquement positifs, il y a de multiples risques et craintes quand on regarde chaque produit de près.

Mais s’il y a des craintes commerciales et environnementales, doit-on aussi craindre des dangers sanitaires ?

L’accord avec le Mercosur comporte un chapitre spécial sur les mesures sanitaires et phytosanitaires. Ce chapitre prévoit que les règles sanitaires européennes ne sont en rien assouplies et qu’elles ne sont pas négociables.

Le problème vient du degré de confiance que l’on peut avoir ou non dans les mécanismes de contrôle des pays du Mercosur, et dans l’intensité des contrôles qui seront menés en Europe lors de l’importation.

Quand le Brésil autorise, depuis l’élection de Jair Bolsonaro, plus de 200 molécules chimiques pour une grande part interdites en Europe, on voit mal comment la sélection se fera là-bas entre ce qui est produit avec des molécules interdites en Europe et ce qui l’est sans ces molécules. Cela concerne aussi bien des pesticides que des antibiotiques. Par ailleurs, dans les pays du Mercosur, on peut nourrir le bétail avec des farines animales qui sont interdites en Europe depuis l’affaire de la vache folle. Le marché européen accepte les importations d’animaux nourris de cette manière. En outre, les pays du Mercosur ne disposent pas de règles de traçabilité aussi performantes que les nôtres.

Or le principe de tels accords commerciaux c’est de faciliter les échanges et non de les freiner par des contrôles multiples. C’est aussi de faciliter les passages de frontières pour les marchandises. Cela suppose donc de faire confiance aux partenaires en instaurant des règles de transparence pour que chacun sache ce que sont les pratiques des autres et puisse agir en conséquence. On y croit ou on n’y croit pas.

Pour aller plus loin :

Par François Collart-Dutilleul.