Alors que les aoûtiens s’apprêtent à croiser les juilletistes, la justice prend-elle des vacances ?

Décryptage par Eric Négron, Premier Président de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence et Membre du Club des juristes.

« Les cours et tribunaux sont dans l’impossibilité de maintenir le rythme habituel des audiences en raison de l’indisponibilité des collaborateurs et auxiliaires de justice »

L’expression « vacances judiciaires » est souvent employée pour évoquer la faible activité des tribunaux pendant la trêve estivale. Correspond-elle à une réalité juridique ? 

 Le temps judiciaire a toujours eu sa spécificité et malgré les grincheux de tout poil,  il a toujours différé du temps économique, politique et social. Avant la grande réforme judiciaire de 1958, les juridictions françaises avaient un rythme de travail calqué sur celui du monde agricole, le métier de juge étant honorifique avec une rémunération faible et une durée de travail permettant de vaquer aux occupations exigées par le cycle des saisons. Les audiences solennelles de rentrée étaient alors organisées au mois de septembre de l’année et non comme aujourd’hui au mois de janvier, l’article R 111-1 du Code de l’Organisation Judiciaire (COJ)  décidant que « l’année judiciaire commence le 1er janvier et se termine le 31 décembre ».

Les « vacances judiciaires » ont disparu de l’horizon des cours et tribunaux avec l’émergence d’un service public judiciaire, l’article L 111-4 du code de l’organisation judiciaire édictant que «  la permanence et la continuité du service public de la justice demeurent toujours assurées ».

De fait, 365 jours par an, les cours et tribunaux français sont en service avec des permanences de week-end et de jours fériés tenues par des magistrats et greffiers. Afin de permettre la prise des congés légaux, la loi a prévu désormais un service allégé pour les juridictions : l’article R 121-1 du COJ prévoit que l’ordonnance de roulement qui décide de l’organisation de la juridiction en chambre et de l’affectation des magistrats dans lesdites chambres, peut  prévoir un service allégé pendant la période au cours de laquelle les magistrats, les fonctionnaires et les auxiliaires de justice bénéficient de leurs congés annuels.

En pratique, les juridictions françaises sont en service allégé 12 semaines par an, huit semaines l’été, deux semaines à Noël et à Pâques. N’oublions pas que le service allégé permet aux magistrats de rédiger leurs arrêts et jugements suite aux audiences surchargés du mois de juin jusqu’au 6 juillet cette année. Il faut également noter que dans notre société fondée sur l’aménagement et la réduction du temps de travail, les cours et tribunaux sont dans l’impossibilité de maintenir le rythme habituel des audiences en raison de l’indisponibilité des collaborateurs et auxiliaires de justice, y compris les forces de la sécurité publique en charge des extractions judiciaires.

Quelles sont les audiences dont la tenue est assurée pendant cette période ?

Au niveau d’une cour d’appel, le service allégé comprend au minimum une audience hebdomadaire de la chambre de l’instruction pour statuer sur les demandes de mise en liberté et une audience tous les jours y compris le weekend pour trancher les appels des rétentions d’étrangers. Chaque jour un magistrat est de permanence pour les mandats d’arrêt européens et les extraditions, pour les référés détention (article 187-3 code de procédure pénale), pour les requêtes et les référés Premier Président. Des audiences des chambres correctionnelles sont également organisées, ainsi que des audiences civiles, commerciales ou sociales pour les assignations à jour fixe. Durant ce service allégé, sont délégués des magistrats de permanence comme conseiller à l’enfance et conseiller en charge de l’application des peines. À titre d’exemple, pour la cour d’appel d’Aix-en-Provence, sur un effectif théorique de 120 présidents de chambre et conseillers, 15 magistrats sont mobilisés chaque semaine dont deux le sont en sus le weekend.

Au niveau de la première instance, sont mises en place des permanences de juge d’instruction, de juge des libertés et de la détention pour les placements en détention, les soins psychiatriques contraints et les prolongations de rétention administrative des étrangers, de juge des enfants, avec des audiences quotidiennes de comparution immédiate, mais aussi pour les référés et les assignations à jour fixe, soit à titre d’illustration pour un tribunal de grande instance comme Marseille composé de 110 magistrats, 14 magistrats au travail chaque semaine dont trois pour le weekend.

L’organisation spécifique de cette période fait-elle peser sur les avocats, en leur qualité d’auxiliaire de justice, des contraintes particulières ?

Les avocats subissent eux aussi des permanences durant les semaines et les weekends de service allégé et ils doivent assister leurs clients lors des audiences fixées l’été, en particulier devant les tribunaux correctionnels ou les juges aux affaires familiales pour les affaires urgentes de garde d’enfants ou de droit de visite.

Des consignes informelles ont été données aux présidents de chambre afin de ne pas fixer d’affaires à bref délai en application de l’article 905 du code de procédure civile, pour ne pas pénaliser les avocats qui devraient en plein été signifier dans les 10 jours et conclure dans le mois de la réception de l’avis de fixation, ce qui relève de la gageure dans la moiteur de l’été. Toute autre pratique empêcherait les avocats et leurs collaborateurs de prendre leurs congés et engendrerait des déclarations de sinistres conséquentes, phénomènes qui se multiplient avec les délais de rigueur du nouveau décret de procédure du 6 mai 2017.

En résumé, le service allégé exige une permanence de travail des magistrats, des avocats et des greffiers, mais une justice de qualité impose à ces mêmes gens de Justice de se ressourcer et donc de se reposer en prenant des vacances bien méritées compte tenu de l’accélération et de la charge de la Justice judiciaire.

Par Eric Négron