Le dispositif de la loi du 19 décembre 2016 qui permet de prolonger les assignations à résidence au-delà d’un an dans le cadre de l’état d’urgence a été censuré, jeudi 16 mars, par le Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur le dispositif qui subordonne la prolongation d’une assignation à résidence au-delà de douze mois à une autorisation préalable du juge des référés du Conseil d’État.

Le Conseil constitutionnel a jugé que la partie des dispositions contestées qui prévoit l’autorisation préalable du Conseil d’État pour prolonger une mesure d’assignation à résidence au-delà de douze mois méconnaît le principe d’impartialité et le droit à exercer un recours juridictionnel effectif. Le Conseil constitutionnel a donc procédé, sur ce point, à une censure partielle des dispositions contestées.

Le Conseil constitutionnel a ensuite statué sur le reste des dispositions contestées selon lesquelles, d’une part, la durée d’une mesure d’assignation à résidence ne peut en principe excéder douze mois et, d’autre part, au-delà de cette durée, une telle mesure ne peut être renouvelée que par période de trois mois. Le Conseil a formulé une triple réserve d’interprétation pour admettre qu’une mesure d’assignation à résidence puisse ainsi être renouvelée au-delà de douze mois par périodes de trois mois sans qu’il soit porté une atteinte excessive à la liberté d’aller et de venir :

  • le comportement de la personne en cause doit constituer une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre public
  • l’administration doit être en mesure de produire des éléments nouveaux ou complémentaires de nature à justifier la prolongation de la mesure d’assignation à résidence
  • enfin, il doit être tenu compte, dans l’examen de la situation de la personne concernée, de la durée totale de son placement sous assignation à résidence, des conditions de cette mesure et des obligations complémentaires dont celle-ci a été assortie.

La déclaration d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel prend effet à compter du 16 mars 2017.

 Xavier Dupré de Boulois, Professeur de droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne décrypte la décision rendue par le Conseil Constitutionnel, le jeudi 16 mars 2017, concernant les assignations à résidence longue durée en état d’urgence (retrouver la décision complète en cliquant ici). 

La décision du Conseil constitutionnel va contribuer à tarir le flux des assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence et partant, elle relance le débat sur l’intérêt opérationnel du maintien de l’application de ce régime d’exception. 

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1/ Pour quelles raisons le Conseil constitutionnel a-t-il procédé à l’annulation partielle des dispositions relatives au régime de l’assignation à résidence dans le cadre de l’état d’urgence ?

On rappellera au préalable que le Conseil était saisi de la constitutionnalité du régime de l’assignation à résidence tel qu’il est défini par l’article 6 de la loi de 1955 dans sa rédaction issue de la loi du 19 décembre 2016. Tout en prorogeant ce régime pour la cinquième fois, la loi de 2016 a pris en compte le sort des assignés à résidence de longue durée. L’article 6 nouveau a posé le principe selon lequel à compter de la déclaration de l’état d’urgence, une même personne ne peut être assignée à résidence pour une durée totale équivalant à plus de 12 mois. Mais il a permis aussi au ministre de l’intérieur d’obtenir une prolongation de l’assignation au-delà de 12 mois. En l’occurrence, il pouvait demander au juge des référés du Conseil d’Etat l’autorisation de prolonger ladite assignation pour une durée de 3 mois, renouvelable sans limite.

Pour censurer partiellement l’article 6, le Conseil constitutionnel s’est situé sur un terrain inattendu. On l’attendait plutôt sur celui de la liberté individuelle. Il a choisi de soulever un moyen d’office tiré de l’atteinte au droit un recours juridictionnel effectif déduit de l’article 16 de la Déclaration de 1789. Il a estimé en effet que les interventions successives du juge des référés du Conseil d’Etat pour autoriser la prolongation puis du Conseil d’Etat pour statuer au fond sur les recours contre les mesures de prolongation consécutives à ces autorisations, portent atteinte au principe d’impartialité déduit du droit à exercer un recours juridictionnel effectif. En conséquence, les dispositions relatives à l’intervention du juge des référés du Conseil d’Etat pour autoriser la prolongation de l’assignation au-delà de 12 mois sont déclarées contraires à la Constitution. Ce motif de censure n’avait rien d’évident. Le Conseil a développé une appréciation exigeante du cumul des fonctions juridictionnelles au regard du principe d’impartialité. En général, c’est le cumul de ces fonctions par un ou plusieurs magistrats dans une même affaire qui pose problème (pour un exemple issu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, n°2011-147 QPC, 8 juillet 2011). Ici, c’est le cumul de fonctions par le Conseil d’Etat en tant qu’institution que cible le juge de la rue Montpensier. Cette solution, inédite à notre connaissance, jure avec d’autres. On sait par exemple que la seule circonstance que le Conseil d’Etat est susceptible de connaître d’un même acte au titre successivement de ses fonctions consultative et juridictionnelle ne viole pas le principe d’impartialité dans la jurisprudence de la Cour EDH (ex. : CEDH, 9 novembre 2006, Sacilor Lormines / France, n°65411/01).

2/ Quelles sont les conséquences de cette décision sur la situation des assignés à résidence de longue durée ?

Prima facie, cette décision pourrait être analysée comme un recul pour la protection des droits des assignés à résidence de longue durée. En effet, la conséquence concrète de la déclaration d’inconstitutionnalité partielle de l’article 6 est tout simplement que le ministre de l’intérieur peut décider de prolonger une assignation à résidence au-delà de 12 mois sans avoir besoin de l’autorisation d’un juge. A défaut de contrôle a priori, le prononcé d’une telle mesure peut seulement faire l’objet des recours habituels devant le juge administratif. De même, le Conseil constitutionnel s’est refusé à porter une appréciation différente sur la nature de l’assignation à résidence de longue durée. En effet, la question s’est posée de savoir si compte tenu de sa prolongation au-delà de 12 mois, cette mesure ne devait plus seulement être analysée comme une restriction à la liberté d’aller et venir mais plutôt comme une véritable privation de liberté et partant comme une atteinte à la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution. Une telle qualification aurait eu pour effet d’attribuer compétence au juge judiciaire pour connaître de cette mesure voir d’imposer une intervention a priori de ce juge. Le Conseil a fait le choix de maintenir l’appréciation qu’il avait formulée lors d’une question prioritaire de constitutionnalité précédente (Cons. const., n°2015-527 QPC, 22 décembre 2015). Il a donc estimé que la circonstance que l’article 6 nouveau permettre le maintien de l’assignation à résidence au-delà de 12 mois est sans effet à cet égard. Un doute perdure sur la compatibilité de cette interprétation avec la jurisprudence de la Cour EDH. Cette dernière prend notamment en compte la durée de la mesure en cause pour déterminer si ce type de mesure doit s’analyser comme une privation de liberté au sens de l’article 5 de la CEDH (Cour EDH [GC], 29 mars 2010, Medvedyev et a/ France, n°3394/03).

Mais le Conseil constitutionnel ne s’est pas arrêté là. Il a certes choisi de valider la disposition qui autorise la prolongation de l’état d’urgence au-delà de 12 mois. Mais compte tenu de la gravité de cette atteinte prolongée à la liberté d’aller et venir, il a formulé une série de réserves d’interprétation afin de renforcer l’encadrement des mesures de prolongation au-delà de 12 mois. En premier lieu, le comportement de la personne doit constituer une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics alors qu’une simple menace suffit en-deçà de 12 mois. En second lieu, le ministre de l’intérieur doit produire des éléments nouveaux ou complémentaires. Il ne peut donc plus se contenter de dupliquer les mêmes éléments de preuve comme il le faisait d’un recours à l’autre devant le juge administratif. En troisième lieu, il lui appartient aussi de tenir compte de la durée totale de l’assignation à résidence et de ses modalités dans l’examen de la situation de l’intéressé. Ce cadre renforcé devrait contraindre le ministre de l’intérieur à mettre fin à certaines mesures d’assignation à résidence. Le journal Le Monde a d’ailleurs annoncé dans son édition du 16 mars que le ministre de l’intérieur avait d’ores et déjà mis fin à certaines d’entre elles en anticipant la décision rendue par le Conseil constitutionnel le lendemain.

3/ Plus généralement, cette décision aura-t-elle un effet sur le maintien de l’état d’urgence ?

La présente décision renforce les contraintes pesant sur le ministre de l’intérieur en matière de prolongation des assignations à résidence au-delà de 12 mois. Elle est donc de nature à limiter le nombre de mesures d’assignation à résidence sachant qu’une soixantaine de personnes étaient encore sous ce régime au jour de la décision du Conseil. En réalité, ce phénomène de tarissement concerne toutes les catégories de mesures prises au titre de l’état d’urgence comme a permis de le constater le rapport parlementaire des députés Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson en décembre dernier. Ce rapport a ainsi relevé que les perquisitions administratives au titre de l’état d’urgence n’assurent qu’une « contribution modeste à l’activité générale du parquet anti-terroriste » (p. 121). L’Etat a lui-même contribué à réduire l’intérêt du régime de l’état d’urgence dans la prévention des actes de terrorisme en introduisant des dispositions nouvelles dans le droit applicable en période normale notamment par les lois des 3 juin et 21 juillet 2016. Il en a été ainsi en matière de perquisition, de contrôle administratif des personnes revenant d’un théâtre d’opération de groupements terroristes et de contrôle d’identité. La décision n°2017-624 QPC contribue donc à renforcer une tendance générale. Mais on a bien compris que le maintien de l’état d’urgence est d’abord une question politique avant d’être un problème d’efficacité opérationnelle ou d’affirmation de l’état de droit.

 

Par Xavier Dupré de Boulois