En vue des élections européennes de 2019, le Président de la République, Emmanuel Macron, étudie la possibilité de modifier le mode de scrutin, pour revenir à des listes nationales.

Décryptage des modes de scrutin utilisés et envisagés pour les élections européennes par Romain Rambaud, professeur de droit à l’Université de Grenoble.  

« Un mode de scrutin peut-il vraiment avoir un effet sur l’intérêt que les Français portent à cette élection ? »

Quels modes de scrutin ont été utilisés par le passé pour les élections européennes ?

Le mode de scrutin aux élections européennes est le fruit d’une combinaison de principes généraux déterminés au niveau de l’Union européenne par la décision 2002/772/CE Euratom du Conseil et de législations des Etats appliquant ces principes de façon différenciée. Les principes communs sont l’élection de type proportionnel, avec scrutin de liste ou système de vote unique transférable, la possibilité de fixer un seuil de représentation minimal à condition de ne pas dépasser 5% des suffrages exprimés et la possibilité de mettre en place des circonscriptions nationales ou régionales. Les États conservent une marge de manœuvre sur les campagnes électorales ou le mode de scrutin.  

En France, le mode de scrutin a été fixé par les articles 3 et s. de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen. La France élit en l’état du droit, issu du traité de Lisbonne de 2007, 74 représentants. Les caractéristiques de base de l’élection n’ont pas été modifiées depuis 1977 : elle se fait tous les 5 ans, en un seul tour, à la représentation proportionnelle, sans panachage ni vote préférentiel et les sièges sont répartis entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés suivant la règle de la plus forte moyenne. En revanche, le nombre de circonscriptions a évolué. De 1977 à 1999 compris, les élections européennes se sont tenues dans une circonscription nationale unique. Une loi n°2003-327 du 11 avril 2003 a modifié ce principe en vue des élections européennes de 2004 en divisant le territoire en huit circonscriptions interrégionales : Nord-Ouest, Ouest, Est, Sud-Ouest, Sud-Est, Massif Central-Centre, Ile-de-France (et depuis 2011, Français établis hors de France) et Outre-mer. Les sièges sont répartis entre les circonscriptions proportionnellement à leur population par un décret adopté au plus tard à la date de convocation des électeurs : pour les élections de 2014, le décret n°2014-378 du 28 mars 2014 avait fixé 10 sièges pour la circonscription Nord-Ouest, 9 pour l’Ouest et l’Est, 10 pour le Sud-Ouest, 13 pour le Sud-Est, 5 pour la circonscription Massif-Central Centre, 15 pour l’Ile de France et les Français établis hors de France, 3 pour l’Outre-Mer.

 Qu’est-il reproché au mode de scrutin actuellement en place ?

En 2003, lorsque ce système a été adopté, il s’agissait de favoriser la participation à ces élections et pour ce faire de rapprocher les députés européens de leurs électeurs. Cependant, la participation en Europe ne cesse de chuter, de 63 % en 1979 à 43% en 2014, comme en France. La régionalisation n’a pas freiné ce processus : la réforme de 2003 fut donc un échec au regard de son objectif initial.

On peut aussi insister sur l’incohérence à laquelle conduit le système actuel au regard du redécoupage des régions depuis le 1er janvier 2016, la carte des régions et la carte des circonscriptions européennes ne correspondant plus. Par exemple, la circonscription Massif Central-Centre est aujourd’hui au croisement de la région Nouvelle-Aquitaine (pour l’ancien Limousin), de la région Centre-Val-de-Loire (pour l’ancienne région Centre) et de la région Auvergne-Rhône-Alpes (pour l’ancienne Auvergne). Cela n’a aucun sens et une loi devra intervenir. Cependant cet argument ne suffit pas, car il aurait été tout à fait possible de redécouper des circonscriptions régionales. 

L’explication est donc surtout politique : on fait grief à ce découpage de sa complexité et surtout du fait qu’il empêche, en établissant la campagne au niveau interrégional, un vrai débat sur l’Europe. Pourquoi pas… mais un mode de scrutin peut-il vraiment avoir un effet sur l’intérêt que les Français portent à cette élection ?

Qu’est-il envisagé afin de réformer les mécanismes actuels ?

Le chef de l’Etat a engagé les 20 et 21 novembre une consultation relative à « l’organisation du scrutin des prochaines élections européennes », recevant le Président du Sénat et le Président de l’Assemblée Nationale et les responsables de l’ensemble des partis et mouvements politiques nationaux représentés au Parlement. Deux points sont principalement discutés.

Le premier est le retour à une circonscription unique, le droit comparé plaidant en ce sens puisque c’est le choix majoritaire qui a été fait en Europe, dans le but de mieux identifier cette élection et de polariser le débat au niveau national autour de l’opposition entre pro-européens et souverainistes.

Mais ce choix cache aussi des considérations tactiques, le nouveau pouvoir semblant s’interroger plus généralement sur l’opportunité de modifier plusieurs modes de scrutin, en témoignent les projets de modification des élections législatives, le débat sur le report des élections municipales en 2021 ou encore l’opportunité de la réforme du mode de scrutin des métropoles qui devrait normalement être effectué en 2019. Pour les élections européennes, la circonscription nationale pourrait avantager les partis disposant de moins de ressources, en têtes d’affiche et militants, au niveau régional, ce qui est le cas de La République en Marche, non opérationnelle pour le moment au niveau local. C’est sans doute la raison pour laquelle Les Républicains ont indiqué leur opposition à cette réforme. Par ailleurs, la nationalisation du scrutin, si elle est associée au maintien du seuil de 5% des suffrages exprimés pour être admis à la répartition des sièges, tend à favoriser les grandes forces politiques au sens où des forces bien implantées localement, qui pourraient dépasser le seuil de 5% au niveau régional, ne le pourraient pas au niveau national. Pierre Laurent (Parti communiste) en est conscient puisqu’il a demandé la mise en place d’un seuil d’accès à 3% des suffrages exprimés.

Le second est plus incertain, puisqu’il repose sur l’idée qu’il serait possible d’utiliser une partie des sièges laissés vacants du fait du Brexit pour permettre l’élection de députés européens au niveau transnational. Le Parlement européen lui-même a voté une résolution le 11 novembre 2015 sur la réforme de la loi électorale de l’Union européenne (2015/2035), encourageant la « création d’une circonscription électorale commune » qui serait connexe aux circonscriptions nationales et concernait 8% environ des députés européens (voir le rapport  du Sénat de F. Keller et J.-Y. Leconte du 10 mars 2016). La France devrait proposer une résolution au Parlement européen d’ici à la fin du mois pour qu’une cinquantaine de sièges soient réservés à une circonscription européenne. Une proposition qui permettrait à Emmanuel Macron de prendre le leadership de la réforme en Europe en mettant en avant un idéal qui l’a fondée : la démocratie. Le Président philosophe n’a-il pas fait cette annonce à Athènes ?

Par Romain Rambaud