La récente polémique – qui a pris fin – autour de la situation administrative de Laurent Wauquiez fournit l’occasion de porter un regard objectif sur les diverses positions administratives permettant à un fonctionnaire d’Etat d’être investi d’un mandat politique. Nous préciserons d’emblée que la situation du candidat à la présidence des « Républicains » n’est contraire à aucun texte en vigueur, même si certains dénoncent une « faute morale ». Le Statut général de la fonction publique précise en effet que les fonctionnaires qui acquièrent un mandat électif peuvent être placés soit en détachement, soit en disponibilité.

Décryptage avec Raphaël Matta-Duvignau, Maître de conférences en droit public à l’Université Versailles-Saint-Quentin.

 « La disponibilité est une sorte de compromis »

 Pourquoi la position de « détaché » est-elle tant décriée ?

 Le détachement est avant tout un moyen de mobilité pour un agent public. Ce dispositif permet au fonctionnaire d’accéder aux autres fonctions publiques et de changer d’emploi au sein de chaque fonction publique. Cette position permet également d’exercer un mandat électif incompatible avec la poursuite de l’exercice de l’emploi public comme, en l’espèce, le fait d’être membre du Conseil d’Etat (à la fois la juridiction administrative suprême et conseiller du gouvernement). Selon l’article 45 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d’Etat, le détachement est donc « la position du fonctionnaire placé hors de son corps d’origine mais continuant à bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l’avancement et à la retraite ». Ainsi, les fonctionnaires élus au Parlement français ou au Parlement européen, nommés au gouvernement ou devant accomplir un mandat local (dans les cas prévus par le code général des collectivités territoriales) sont « de plein droit » placés en position de détachement[1].

De la même manière, la situation de Laurent Wauquiez est conforme à la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : l’article 24 de cette dernière, applicable à compter du 1er janvier 2014, interdit seulement aux nouveaux parlementaires fonctionnaires de se placer en situation de détachement, les fonctionnaires élus ayant ainsi l’obligation de se placer en disponibilité. D’une part, il ne s’est pas représenté aux élections législatives en 2017 et la loi n’est pas d’application rétroactive. D’autre part, ces dispositions législatives ne concernent que les parlementaires ; or, Laurent Wauquiez n’est depuis juin 2017 « que » président de région. Par conséquent, il a pu en toute légalité, non seulement bénéficier jusqu’à la fin de son mandat de député des avantages du détachement, mais aussi conserver, en tant que président d’un exécutif local, depuis juin 2017, ce statut et continuer à ce titre de cotiser pour sa retraite.

La situation du candidat à la présidence des Républicains est donc conforme à la législation en vigueur. En réalité, pour comprendre la polémique actuelle, qui n’a – juridiquement – pas lieu d’être, il faut surtout avoir à l’esprit que le fonctionnaire détaché, d’une part, conserve, dans son corps d’origine, ses droits à l’avancement et à la retraite et, d’autre part, est obligatoirement, à la fin de la période de détachement, immédiatement et au besoin en surnombre, réintégré dans son corps d’origine et affecté à un emploi correspondant à son grade. Avantages qui, aujourd’hui, sont de plus en plus contestés.

En quoi le fait de se placer maintenant en « disponibilité » semble plus acceptable ?

 Pour une raison assez simple : la mise en disponibilité offre moins d’avantages financiers que le détachement. Selon l’article 51 de la loi précitée de 1984, la disponibilité est « la position du fonctionnaire qui, placé hors de son administration d’origine, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l’avancement et à la retraite ». Les droits à la retraite de l’ « élu- fonctionnaire » ne dépendent donc plus de la fonction publique d’origine, mais de la fonction réellement exercée. La mise en disponibilité est accordée de droit à l’élu local, pour la durée – ou le restant de cette dernière – du mandat. Enfin, le fonctionnaire est réintégré à la première vacance d’emploi dans son grade. Toutefois, s’il refuse le poste, l’administration lui propose l’un des 3 premiers emplois vacants correspondant à son grade. S’il les refuse successivement, il peut être radié des cadres. La disponibilité est donc une sorte de compromis : le droit au retour dans l’administration d’origine est garanti, mais sans les avantages financiers et sans le bénéfice de l’ancienneté.

Pourquoi, finalement, ne pas démissionner de la fonction publique ?

 La démission de la fonction publique est une autre possibilité. Toutefois, franchir le Rubicon produit des effets dissuasifs. Dans un premier temps, elle implique une rupture instantanée et irrévocable du lien unissant le fonctionnaire à son administration d’origine. A compter de la prise d’effet de la démission, l’agent perd son statut de fonctionnaire et donc le droit de retourner dans son corps. S’il souhaite de nouveau travailler dans la fonction publique, il doit repasser un concours. De plus, la démission n’ouvre pas droit aux allocations chômage. Dans un second temps, la démission peut entrainer, dans certaines hypothèses, un coût financier pour le démissionnaire : si l’intéressé sort d’une grande école de l’Etat, il doit s’acquitter de la fameuse « pantoufle » s’il n’a pas exercé les dix années de service obligatoire à l’Etat. Ce qui est le cas pour l’intéressé, énarque et n’ayant exercé ses fonctions au Conseil d’Etat que durant quelques mois. On comprend aussi que l’intéressé puisse vouloir, à terme, réintégrer son corps d’origine.

On le répète, il existe une différence entre légalité et moralité.

Par Raphaël Matta-Duvignau

[1] Il en va de même pour les fonctionnaires exerçant un mandat syndical, accomplissant un stage ou une période de scolarité préalable à la titularisation ou suivant un cycle de préparation à un concours.