Le 18 décembre dernier, la Ministre de la justice et Garde des sceaux, Nicole Belloubet, a annoncé la création future d’un parquet national antiterroriste chargé de l’instruction des dossiers sensibles et la coordination des autres procédures avec les parquets locaux.

Décryptage par Pauline Le Monnier de Gouville, maître de conférences à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

« La question est en réalité moins celle de l’indépendance de ce Parquet dans le cadre de sa mission que celle des moyens qui lui seront offerts pour la mener à bien »

Quels sont les objectifs du Parquet national antiterroriste ?

La création d’un Parquet National antiterroriste (PNAT) est l’une des réponses offerte à l’évolution de la menace terroriste, une menace « plus diffuse, moins lisible mais plus présente », qui devrait « vraisemblablement perdurer », selon les propos de la Ministre de la Justice et Garde des sceaux, Nicole Belloubet1. Outre le nombre croissant de personnes incarcérées pour terrorisme – plus de 500 à l’heure actuelle – et l’incubateur préoccupant que peut représenter la prison, la France redoute désormais le retour des zones de combat. Selon le gouvernement, environ 1700 français sont partis rejoindre les zones djihadistes irako-syriennes depuis 2014 ; 700 s’y trouveraient encore. A la fin de l’année 2017, près de 300 étaient revenus sur le territoire français.

Dans un tel contexte, se pose la question de savoir comment le Parquet peut-il appréhender ces nouvelles sources de menaces. Depuis 1986, le Parquet de Paris est compétent au niveau national pour traiter les dossiers terroristes. La section spécialisée, dite C1, se compose de 14 magistrats spécialisés permanents. Au cours de ces six dernières années, l’institution a toutefois vu sa charge particulièrement alourdie et l’idée d’un Parquet spécialisé a pu être avancée, à l’instar du Parquet National Financier instauré en 2013 suite au scandale de l’affaire Cahuzac. Le débat n’est en réalité guère nouveau ; on se souvient, à cet égard, de quelques propositions émises à la suite des attentats de 2016, alors que la campagne présidentielle s’apprêtait à démarrer. Plus surprenante est l’annonce de la création du PNAT formulée au mois de novembre 2017, alors même que l’idée d’une telle institution ne figurait pas nécessairement au sein du programme d’Emmanuel Macron. Rappelons toutefois que la proposition surgit dans un contexte de lutte dynamique contre le terrorisme, près d’un mois après l’adoption d’une nouvelle loi en la matière, en date du 30 octobre, signe résolument de la volonté du gouvernement de relever le « principal défi de la justice », selon Nicole Belloubet, que représente la lutte contre le terrorisme.

Un défi, donc, et une approche pragmatique des moyens d’y répondre. Le premier objectif de la création du PNAT est en effet de désengorger le Parquet de Paris, lorsque l’on sait que le nombre de dossiers suivis par la section spécialisée ne cesse de croître et ne se limite plus aux seuls terrorismes basque et corse. Le nombre de dossiers affectés à ladite section a ainsi doublé chaque année depuis 2012 en raison de la menace djihadiste – jusqu’à atteindre 457 au mois de novembre 2017. Il ne faut pas oublier que le Parquet de Paris est le plus important de France, chargé d’affaires ordinaires mais également de contentieux particuliers tels que la criminalité organisée, la santé publique, etc. Il est donc légitime de se demander si la réponse pénale au terrorisme ne justifie pas, structurellement, la mise en place d’une organisation autonome – en l’état, la section C1 représente 10 % des effectifs du Parquet de Paris.

Le second objectif est celui de la qualité de la justice, de son efficacité. Il s’agit bien de bénéficier d’une « véritable force de frappe judiciaire antiterroriste », selon le Garde des Sceaux, avec pour objectif de conduire une « politique pénale autonome et homogène ». Surtout, le procureur à la tête de l’institution spécialisée aurait désormais la possibilité de se consacrer exclusivement à la lutte contre le terrorisme et de « recentrer son activité sur cette mission essentielle ». L’évolution de la menace et l’apparition de ce que les magistrats nomment « zones grises » dans le cadre de cette lutte justifient que le nombre d’acteurs de coopération soit renforcé et que seul un procureur à plein temps pourrait coordonner. L’enjeu est celui d’une centralisation, d’une rationalisation des moyens de lutte, en privilégiant une coopération entre les services du renseignement et le Procureur antiterroriste de la République.

Quel sera le périmètre de son intervention ?

Pour l’heure, les modalités de l’organisation de cette institution demeurent en réalité assez confuses, Nicole Belloubet n’ayant précisé ni le périmètre de ce nouveau Parquet, ni davantage sa place exacte dans l’organisation judiciaire. Tout au plus sait-on que le Parquet bénéficiera d’attributions plus étendues que celles de la section antiterroriste actuelle, liées aux infractions connexes au terrorisme, telles, notamment, la cybercriminalité. L’institution verra également ses effectifs renforcés.

Jusqu’alors, le Parquet de Paris traitait seul les questions de terrorisme. Progressivement, les parquets locaux se sont toutefois chargés des infractions dites de basse intensité (consultation de sites, provocation ou apologie de terrorisme). Ces différentes compétences suscitent un besoin de coordination de ce qui constitue un véritable réseau, mission dont pourrait hériter le nouveau Parquet en centralisant toutes les procédures liées aux actes de terrorisme et infractions connexes. L’idée est de favoriser une meilleure synergie avec les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), même si rien n’est, pour l’instant, indiqué quant aux connexions avec la province.

Sera-t-il pleinement indépendant dans l’exercice de ses fonctions ?

Là encore, il convient d’attendre les propositions qui seront formulées. La place du PNAT dans l’organisation judiciaire n’est en effet pas encore définie, et l’on ne sait sous l’autorité de quelle juridiction cette nouvelle entité sera placée. Le modèle pourrait être comparable à celui du Parquet National Financier, lequel dépend de la Cour d’appel de Paris, et tranche les différends pour l’attribution des dossiers avec le Parquet parisien en discutant avec ses 35 homologues en cas de concurrence avec les parquets de province. Faut-il instituer un Procureur général autonome comme cela existe en Espagne ? La question est éminemment polémique, politique, et la réponse ne peut être délivrée sans guetter, avant tout, les orientations plus générales du gouvernement quant à l’indépendance du Ministère public français – le Président de la République s’étant refusé, pour l’heure, à rompre le lien entre le Parquet et le Garde des Sceaux.

A court terme, la question est en réalité moins celle de l’indépendance de ce Parquet dans le cadre de sa mission que celle des moyens qui lui seront offerts pour la mener à bien. L’expérience d’Éliane Houlette, qui dirige l’actuel Parquet National Financier, pourrait de ce point de vue offrir un témoignage éclairant, tant il est vrai qu’est régulièrement déploré un manque de moyens et d’effectifs au sein de l’institution.

Dans une perspective plus large, l’autonomie de la lutte contre le terrorisme, via la création du PNAT, pose enfin la question des contours de l’existence d’une justice pénale d’exception – celle, surtout, des évolutions futures. Le Code de procédure pénale, on le sait, est grevé depuis plus de 30 ans de dispositions spéciales et de procédures extraordinaires, offrant aux enquêteurs toujours plus de pouvoirs coercitifs réalisés dans des conditions dérogatoires au droit commun et ce, au nom de l’efficacité de la justice pénale antiterroriste. Une vingtaine de lois ont ainsi été adoptées depuis 1986, toutes convergeant progressivement vers l’affirmation d’une justice pénale exceptionnelle. La création d’un PNAT, en ce sens, scelle l’institutionnalisation d’une justice dérogatoire au droit commun, une marche de plus vers un Droit commun d’exception.

Par Pauline Le Monnier de Gouville

1 Lors d’une conférence tenue devant des procureurs de la République à l’Ecole Nationale de la Magistrature.