Pascal Jan, Professeur de droit à Sciences Po Bordeaux décrypte les aspects soulevés par le retrait d’un candidat à l’élection présidentielle.

« François Fillon ne peut être contraint par Les Républicains ni à se retirer de la compétition ni à reverser les dons récoltés »

Les élus ayant apporté leur parrainage peuvent-ils choisir de reporter leur choix sur un autre candidat ?

Il faut distinguer deux situations selon qu’il y ait ou non report de l’élection présidentielle. La première hypothèse est le retrait d’un candidat avant le 17 mars 18h00, date de clôture des enregistrements des présentations par les citoyens membres de différentes assemblées ou titulaires de différentes fonctions issues du suffrage universel, sans demande de report de l’élection, lequel ne peut être décidé que par le Conseil constitutionnel aux conditions posées à l’article 7, alinéas 6, 7 et 9 de la Constitution (C). Le choix des élus habilités (42 000) à apporter leur soutien à une personne qui fait acte de candidature à l’élection présidentielle est ferme et définitif. Une fois le formulaire de présentation enregistré, vérifié et validé par le Conseil constitutionnel, le choix de l’élu est irrévocable. Il fait l’objet d’une publication sur le site du Conseil constitutionnel. Les formations politiques très représentatives tirent avantage de ce système. Elles sont en capacité de mobiliser très rapidement nombre de parlementaires et d’élus locaux pour parrainer un autre candidat issu de leurs rangs. La difficulté tient ici au délai d’acheminement du parrainage qui s’effectue exclusivement par voie postale. Les candidats des partis politiques plus confidentiels sont clairement désavantagés sauf si les élus des principales formations leur apportent leur soutien au motif d’un pluralisme nécessaire.

La seconde hypothèse suppose le report de l’élection, qui peut avoir lieu dans deux cas. Soit parce qu’à la suite du retrait d’un candidat entre le 10 et le 17 mars le Conseil constitutionnel aurait décidé du report, lequel est alors facultatif (art. 7, alinéa 6 C) soit parce que le retrait d’un candidat aurait lieu entre l’établissement de la liste des candidats par le Conseil constitutionnel (20 ou 21 mars) et le premier tour,  hypothèse dans laquelle le report de l’élection est automatique (article 7, alinéa 7 C). Dans ces deux cas, le Conseil constitutionnel devra préalablement avoir constaté l’empêchement.

En l’absence de toute précision dans le texte constitutionnel, la notion d’empêchement devra être précisée par le Conseil. La notion d’empêchement concerne évidemment l’incapacité physique et juridique (inéligibilité et privation des droits civiques, tutelle et curatelle). Toutefois, on doit se demander si le Conseil constitutionnel ne tiendrait pas compte d’un renoncement d’un candidat dès lors que celui-ci, embourbé dans une affaire judiciaire ou mis en examen, est dans l’incapacité de mener normalement campagne. Une interprétation stricte de la notion incline à conclure par la négative (v. précédent billet sur ce Blog de Denys de Béchillon). Au contraire, une interprétation large prenant en considération les particularités et spécificités de l’élection présidentielle pencherait plutôt pour une réponse positive. Dans cette dernière hypothèse, le Conseil constitutionnel pourrait tenir le raisonnement suivant. Garant de la sincérité de l’élection présidentielle (entendue lato sensu) et non de sa régularité stricto sensu, le Conseil prendrait en considération la qualité du candidat en fonction de sa représentativité. Par ailleurs, il pourrait établir, au vu des circonstances, qu’il y a une atteinte à « l’égalité des conditions de la compétition » laquelle conditionne la sincérité du scrutin.

En toute hypothèse, un nouveau décret de convocation des électeurs sera publié. Ce décret ouvre de nouveau la procédure des parrainages (art. 2 alinéa 1 du décret n° 2001-213 du 8 mars 2001 portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel). Les élus ayant apporté leur parrainage à une personne qui n’est plus candidate sont alors en mesure de choisir un autre candidat.

Quelles sont les modalités du choix du successeur au regard des règles internes ?

L’article 38 des statuts du parti Les Républicains consacré à la désignation du candidat à l’élection présidentielle prévoit seulement l’organisation d’une primaire ouverte aux « citoyens adhérant aux valeurs de la République et se reconnaissant dans les valeurs du Mouvement » dont le vainqueur est soutenu par les autres candidats à cette consultation (article 39). Aucune disposition statutaire ne prévoit les modalités de remplacement du candidat vainqueur des primaires. La seule situation exceptionnelle envisagée est celle d’une élection présidentielle anticipée. Pour des raisons de délai, le Conseil National décide alors, sur proposition du Bureau Politique, « s’il y a lieu d’organiser une primaire en vue de la désignation du candidat à la présidence de la République ».

Dans le cas de François Fillon, son retrait de la compétition présidentielle ne peut résulter que d’une décision personnelle. Il ne peut lui être imposé par quiconque. Dans l’hypothèse d’un renoncement et en l’absence d’une procédure et de règles prédéfinies par les statuts des formations politiques qui ont participé à la primaire de la droite et du centre, la désignation d’un successeur relève d’une décision d’un organe directeur du parti. Pour la formation Les Républicains, dont est issu François Fillon, les statuts sont muets. Compte tenu de l’impossibilité d’organiser une nouvelle primaire ou un vote des adhérents du fait d’une contrainte temporelle évidente, la désignation d’un successeur résulte nécessairement d’un règlement politique, c’est-à-dire d’un rapport de force entre les différents courants. Certains sont mieux représentés au Conseil national, d’autres au Bureau exécutif. La situation exceptionnelle et inédite actuelle obligera les formations politiques qui participent à des primaires à compléter leur règlement intérieur.

Qu’advient-il des sources de financement du micro parti de François Fillon ? À qui appartiennent-elles ? Quel est leur sort s’il abandonne ?

Force Républicaine, le micro-parti de François Fillon, est financé par les dons récoltés à l’occasion de la primaire et depuis sa désignation comme candidat (montant inconnu à ce jour), le reliquat de l’organisation des primaires de la droite et du centre conformément à l’article 7 paragraphe 4, de la Charte de la primaire (9 millions d’euros) et des fonds que doit verser le parti Les Républicains (de l’ordre de 5 millions d’euros pour financer la campagne du vainqueur de la primaire issus d’une dotation réglementaire de l’Etat). Les dons versés à Force Républicaine lui appartiennent comme le reliquat de la primaire. En cas de renoncement, le candidat François Fillon n’a aucune obligation de reverser la manne financière disponible au parti ou sur le compte d’un micro-parti de son successeur. En revanche, la Haute Autorité a tout pouvoir pour décider de verser la partie restante du reliquat de la primaire au candidat de substitution. Si le successeur éventuel est issu de la primaire de la droite et du centre, les dépenses exposées à cette occasion seront considérées comme des dépenses électorales conformément au mémento à l’usage du candidat et de son mandataire pour l’élection présidentielle de 2017 établi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et rendu public le 29 avril 2016.

Par Pascal Jan