Les élections territoriales organisées au début du mois de décembre ont vu la liste nationaliste l’emporter assez nettement avec 56,46% des suffrages. Les nationalistes espèrent pouvoir ainsi faire aboutir plusieurs revendications, du statut de l’Île de Beauté à une reconnaissance d’un pouvoir fiscal et législatif.

Décryptage par Michel Verpeaux, professeur de droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

« Les élus corses s’appuient sur les cas polynésiens et néo-calédoniens pour considérer que la notion d’autonomie n’est pas étrangère au droit constitutionnel français »

Quels sont les statuts actuels de la Corse ?

Depuis 1982, la Corse a connu plusieurs statuts. Elle a été, dans un premier temps, reconnue comme une région –métropolitaine- avant les autres par la loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région Corse (organisation administrative). Puis elle a été dotée d’un statut spécifique par la loi du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse, souvent appelé « statut Joxe » du nom du ministre de l’Intérieur à l’origine de la loi. Cette loi avait créé une collectivité territoriale sans autre dénomination que celle de « collectivité territoriale de la République au sens de l’article 72 de la Constitution ».

Ces deux lois, qui avaient suscité de très nombreuses discussions, avaient été validées par le Conseil constitutionnel. Les accords de Matignon conclus entre le Gouvernement de M. Jospin et des élus de la collectivité territoriale de Corse en juillet 2000 ont permis l’adoption de la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse mais qui n’a pas donné naissance à un véritable nouveau statut.

La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a, ensuite, autorisé la création de collectivité territoriale dotée d’un statut particulier (art. 72-1al. 3). Cette innovation avait été inscrite en pensant ainsi résoudre le problème corse. Sur ce fondement, la Gouvernement avait alors fait voter la loi du 10 juin 2003 organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de l’organisation institutionnelle de la Corse, qui contenait en annexe le projet d’une collectivité territoriale unique fusionnant la collectivité territoriale existante et les deux départements de Haute-Corse et de Corse du Sud. Le Gouvernement s’était engagé à consulter les électeurs de Corse, et ceux-ci se sont prononcés le 6 juillet 2003 contre ce projet. Ce dernier a été abandonné par les autorités politiques, alors que la consultation ne devait conclure qu’à un simple avis.

C’est ce même projet que le législateur a fait inscrire dans la loi relative à la nouvelle organisation territoriale de la République du 7 août 2015, sans recourir à un quelconque consentement populaire. La loi prévoyait l’entrée en vigueur des dispositions relatives à la Corse au 1er janvier 2018, après la tenue d’élections territoriales nouvelles, celle qui se sont déroulé les 3 et 10 décembre 2017
Le statut de 2015 qui entrera en vigueur s’inscrit donc dans une longue suite de textes qui ont fait sortir, petit à petit, la Corse du statut de droit commun.

Quels changements constitutionnels seraient à prévoir à court terme ?

Jusqu’à présent, la Corse ne figure pas expressément dans la Constitution, sous la réserve qu’elle appartient à la catégorie des collectivités à statut particulier énuméré, à côté des communes des départements, des régions et des collectivités d’outre-mer à l’article 72 alinéa 2. Cette consécration constitutionnelle par la loi précitée du 28 mars 2003 venait clore –provisoirement- le débat né avec les lois de 1982 et 1991 précitées et relatif au degré de liberté reconnu ou non au législateur pour créer de telles collectivités qui n’entraient dans aucune des catégories existantes avant 2003 (respectivement décisions du 25 mars 1982 et du 9 mai 1991).

Le Conseil constitutionnel avait fait preuve d’une relative souplesse, pour admettre cette possibilité de création, en se fondant sur l’alinéa 2 ancien de l’article 72 selon lequel « Toute autre collectivité est créée par la loi ». Dans sa décision relative à la loi du 13 mai 1991, le Conseil constitutionnel n’avait cependant manifesté qu’un coup d’arrêt, tout autant radical que symbolique, aux volontés du législateur : il avait en effet censuré la référence, dans la loi, « au peuple corse, composante du peuple français ». C’est dans ce cadre constitutionnel, tant écrit que jurisprudentiel, que s’inscrivent les revendications portées par la nouvelle majorité territoriale. S’agissant du peuple corse, il est a priori évident qu’une révision serait nécessaire. D’une part, la mention des « populations d’outre-mer au sein du peuple français » prévue à l’article 72-3 ne correspond en effet aucunement à la revendication insulaire, le terme de « population » paraissant déceptif par rapport à celui de peuple auquel semblent attachés les élus et, d’autre-part, la Corse n’a jamais été considérée comme étant « outre-mer », ce dont témoigne la liste des collectivités situées outre-mer à l’alinéa 2 de ce même article 72-3.

De la même manière, la revendication de la co-officialité des langues corse et française se heurte à l’article 2 de la Constitution selon lequel « la langue de la République est le français », et à son interprétation constante par le Conseil constitutionnel, depuis sa décision du 29 juillet 1994. Cette dernière distingue une sphère privée au sein de laquelle la liberté d’expression doit être la règle et une sphère publique dans laquelle le législateur peut imposer l’usage du français.

Quant à la reconnaissance d’un pouvoir fiscal et d’un large pouvoir législatif, ce qui implique un abandon des compétences étatiques, elle requiert aussi l’intervention du pouvoir constituant.

Que penser des revendications à long terme ?

Les élus corses s’appuient sur les cas polynésiens et néo-calédoniens pour considérer que la notion d’autonomie n’est pas étrangère au droit constitutionnel français. L’article 74, qui est consacré aux collectivités d’outre-mer, distingue en effet parmi elles, celles qui sont dotées de l’autonomie et celles qui n’en disposent pas. Il renvoie au législateur organique le soin de déterminer les collectivités auxquelles il entend reconnaître cette qualité.

A ce jour, trois collectivités d’outre-mer en bénéficient, avec d’ailleurs des degrés divers d’autonomie. Il s’agit de la Polynésie française (loi organique du 27 févier 2004) et, à un niveau inférieur, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin (loi organique du 21 févier 2007). Mais, comme cela a été rappelé, la Corse n’appartient pas à la catégorie des collectivités d’outre-mer et ces précédents ne peuvent guère servir.

S’agissant de la Nouvelle-Calédonie, son autonomie a été consacrée constitutionnellement aux articles 76 et 77 depuis la révision du 20 juillet 1998 intégrant l’Accord de Nouméa. Ce territoire occupe une place tout-à-fait à part au sein de la Constitution qui est conçue, en outre, comme étant « transitoire » en attendant la tenue du référendum sur l’avenir institutionnel de cette collectivité qui doit avoir lieu avant novembre 2018. Il n’existe rien de tel pour la Corse. Si rien n’est a priori impossible au pouvoir constituant, encore faut-il qu’il ne veuille et le puisse aux conditions posées par l’article 89 alinéa 5 de la Constitution. Une des questions sera notamment de déterminer comment y parvenir, par la voie du Congrès ou par celle du référendum, national cette fois.

Par Michel Verpeaux