A l’issue de la seconde phase de consultation des partenaires sociaux et du point de presse fait par la Ministre mercredi, on y voit aujourd’hui beaucoup plus clair, et les changements sont d’importance en matière de dialogue social .

Explications de Jean-Emmanuel Ray, professeur à l’Ecole de droit de Paris I – Sorbonne

« Un salutaire changement de notre culture sociale »

 Quels changements ont été annoncés mercredi ?

Deux questions bien différentes sont aujourd’hui sur la table.

La première est  la fusion de nos trois instances élues du personnel, chacune avec sa compétence propre : dans les sociétés de plus de 11 salariés, les délégués du personnel, délégués de proximité très utiles en termes de signaux faibles. Dans les plus de 50, le comité d’entreprise avec ses attributions économiques, mais aussi le monopole de la  gestion des activités sociales et culturelles ; enfin le CHSCT centré sur la santé physique et mentale des collaborateurs. Mais chacune dans son couloir, sans la nécessaire vision d’ensemble, économique et sociale.

Avec de délicates questions d’articulation, alors que nos entreprises doivent être réactives. Au bout du chemin, une judiciarisation du dialogue social au détriment des questions de fond.

Mais la loi Rebsamen du 17 août 2015 avait déjà très largement rationalisé ce mille-feuilles.

  1. Pour les employeurs de moins de 300 salariés, contre 200 auparavant, possibilité de regrouper unilatéralement les trois instances élues en une seule: la « délégation unique du personnel » (DUP). Mais il ne s’agissait pas, comme aujourd’hui, d’une véritable fusion dans un  « Comité Social et Economique » puisque « les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le CHSCT conservent l’ensemble de leurs attributions » (L. 2326-3 actuel). De la « DUP » au futur « CSE » : une évolution remarquable, qui harmonise de facto les multiples thèmes de consultations, et en limite le nombre.  Mais aussi moins de personnes morales pouvant agir en justice, et sans doute moins de nomination d’experts CE ou CHSCT aux quatre coins de la France, sur des sujets parfois identiques.
  2. Possibilité pour celles de plus de 300 de faire de même, par accord majoritaire, mais à la carte : DP+CE, CE + CHSCT, voire DP+CE+CHSCT. Mais deux ans plus tard, moins de vingt accords ont été signés sur ce thème, pour des raisons très diverses. Des entreprises gardent soigneusement le tryptique DP+CE+CHSCT afin d’éviter la création d’une instance omnipotente et donc puissante (sur l’ensemble de la question, voir Gilles Bélier, Henri-José Legrand et Aurélie Cormier : « Le nouveau droit de la négociation collective », 3° édition, Ed . Liaisons-WKRH, juillet 2017). D’autres se sont heurtées à un refus de principe, ou ne veulent pas braquer leurs syndicalistes dont ils ont besoin pour signer des accords leur donnant  accès à la flexibilité : annualisation, forfait-jours…Le mariage forcé des trois institutions évite ce travers.

Mais pas de Grand Soir non plus : le « Comité Social et Economique »  conserverait l’intégralité des compétences des trois instances, aurait la capacité d’ester en justice comme de recourir à des expertises, en disposant  d’un budget de fonctionnement au moins égal à celui du comité d’entreprise.

Et la seconde proposition, la création d’un « conseil d’entreprise » ayant le pouvoir de négocier ?

Il est incontestable que notre summa divisio franco-française (consultation par les instances élues / négociation par les délégués syndicaux désignés par les syndicats représentatifs) peut être source de vraies complications.

Ainsi de la digitalisation d’une entreprise, et a fortiori d’un plan de sauvegarde de l’emploi, où la loi du 14 juin 2013 a voulu encourager les plans négociés (plus de la moitié des PSE aujourd’hui).  

Mais pour négocier, il faut être deux. Or un quart des entreprises employant entre 50 et 100 salariés ont un délégué syndical ; la moitié entre 100 et 150, 58%  entre 150 et 200; 65% entre 200 et 250. Et entre 250 et 300, 76%.

Voilà pourquoi « un accord d’entreprise ou de branche déterminerait les conditions dans lesquelles la compétence de négociation serait intégrée » à ce qui deviendrait  un « conseil d’entreprise ».

Mais l’opération devra être menée avec doigté.

Car la convention n° 135 de l’OIT de 1971 indique que  « lorsqu’une entreprise compte à la fois des représentants syndicaux et des représentants élus, des mesures appropriées devront être prises pour garantir que la présence de représentants élus ne puisse servir à affaiblir la situation des syndicats ou de leurs représentants, et pour encourager la coopération, sur toutes questions pertinentes ». Et la Cour de cassation n’hésite jamais  à rappeler que ces conventions, systématiquement ratifiées par la France, ont une valeur supra-légale.

Car dans la même ligne de priorité – mais pas du monopole- aux syndicats représentatifs, le Conseil Constitutionnel avait précisé le 6 novembre 1996 que si les termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution « confèrent aux organisations syndicales vocation naturelle à assurer la défense des droits et intérêts des travailleurs, ils n’attribuent pas pour autant à celles-ci un monopole de la représentation des salariés en matière de négociation collective. Des salariés, désignés par la voie de l’élection ou titulaires d’un mandat assurant leur représentativité, peuvent également participer à la détermination collective des conditions de travail dès lors que leur intervention n’a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à celle des organisations syndicales représentatives ».

La création de ce « Conseil d’entreprise » ne va t-il pas plus loin ?

 Effectivement. Outre sa nouvelle composition et son pouvoir de négociation, la proximité du « Conseil d’Entreprise » et du « Betriebsrat » allemand saute aux yeux à la lecture de l’alinéa 3 (« conditions dans lesquelles les représentants du personnel peuvent être mieux associés aux décisions de l’employeur dans certaines matières »), puis 4 (« améliorer les conditions de représentation et de participation des salariés dans les organes d’administration des sociétés ») de l’article 2 du projet de loi. 

Même si sur le premier point, la Ministre a seulement évoqué la formation professionnelle – essentielle en nos temps de digitalisation – cette ébauche de co-décision redonne vie à un septuagénaire jusqu’à présent très discret, l’alinéa 8 du Préambule de 1946: « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».

Un salutaire changement de notre culture sociale. 

Par Jean-Emmanuel Ray