Le Conseil des Ministres a approuvé mercredi le projet de loi « d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social » présenté après de nombreuses consultations des partenaires sociaux  par la Ministre du Travail.

Décryptage avec Jean-Emmanuel Ray, Professeur à l’Ecole de droit de Paris I – Sorbonne.

« La branche reste un TGV pour les grandes entreprises et un omnibus pour les TPE-PME »

L’approbation du Conseil des Ministres constitue-t-elle une avancée décisive dans le cadre de la réforme du Code du Travail ? 

On y voit aujourd’hui beaucoup plus clair sur les intentions du Gouvernement.

Mais le marathon de cette créative concertation-consultation-négociation individuelle avec chaque partenaire social, moins médiatique mais plus efficace que les Grandes Messes collectives où chacun jouait son rôle pour le 20h,  va continuer jusqu’au 21 juillet. Car sur les trois thèmes, la consultation n’est terminée que sur le premier, qui s’éclaircit notablement avec la publication du projet. Depuis lundi, M. Pénicaud a abordé le deuxième, « la simplification et le renforcement du dialogue social », avec en particulier la fusion des institutions élues du personnel.  Enfin du 10 au 21 juillet,  la très explosive « sécurisation des relations du travail »,  avec des sujets qui fâchent comme le plafonnement des dommages-intérêts en cas de licenciement fautif, ou le périmètre d’appréciation des  licenciements économiques. Après le passage du projet de loi au Parlement du 24 au 28 juillet, prévu en urgence, les projets d’ordonnances seront soumis début septembre aux six instances officielles de concertation (Commission nationale de la négociation collective, etc..),  puis au Conseil d‘Etat.

Mais pour comprendre la grande retenue des syndicats sauf la CGT,  il ne faut pas oublier que cette réforme du Code du Travail constitue l’Acte I d’une pièce qui en comporte six, sur des sujets sensibles pour les partenaires sociaux, y compris sur le plan financier : le Gouvernement veut en effet reprendre en main l’assurance-chômage, réformer les retraites, l’apprentissage, mais aussi refonder la formation professionnelle avec son budget global de 32 milliards d’euros.

Quels points pourraient poser problème ?

Le propre  d’une telle loi d’habilitation est de ne pas descendre dans les déta    ils des ordonnances futures. Ce serait d’ailleurs singulier, alors que la Ministre du Travail  vient de finir ses consultations sur le premier des trois thèmes, le moins conflictuel car assez technique.

Mais on commence à y voir plus clair sur les points de blocage et lignes rouges de chacun, qui pourraient se transformer en position de négociation. Pour l’instant donc, nul ne peut dire ce qui ressortira précisément de cette partie de poker social : le nombre des sujets abordés étant délibérément important, ce sont autant de marges de négociation possibles pour chaque partenaire. On le voit déjà avec l’accord CPME/ CFDT-FO qui semble se dessiner sur le compte pénibilité.

– Commencée avec la loi Rebsamen d’août 2015, la fusion des institutions représentatives élues du personnel pour les entreprises de plus de 300 salariés va se poursuivre. Les syndicats naturellement protestent, mais assez mollement, contre cette restriction du nombre de leurs élus protégés car dans les entreprises moyennes, ils ont du mal à trouver des délégués, et ceux existant cumulent donc déjà les mandats.

Commun à toutes nos confédérations, le point de rupture était l’institution unique du personnel incluant les délégués syndicaux, aujourd’hui désignés par des syndicats représentatifs, et ayant le monopole de la négociation collective. Elle ne pourra intervenir que si les délégués syndicaux  eux-mêmes décident de se dissoudre….

– Le chiffon rouge, côté syndicats, du plafonnement des dommages-intérêts  en cas de licenciement  fautif  est maintenu, sauf discrimination. Mais accompagné d’une utile limitation des cas où un défaut de procédure (ex : lettre de licenciement mal rédigée dans une TPE) conduit à la lourde sanction d’une absence de cause réelle et sérieuse.  

Quelles évolutions sont à constater après la première phase de concertation sur la hiérarchie des normes ?

 Dans ce domaine où la concertation est terminée, elle n’a pas été sans effet.  Alors qu’il avait été question de libérer l’accord d’entreprise de la convention de branche, c’est un nouvel équilibre qui a été trouvé.

En application de l’article 34 de notre Constitution, la loi « fixe les principes fondamentaux » du droit du travail.

La convention de branche  garde son rôle de loi économique et sociale de la profession, d’anti-dumping social interne avec les minima salariaux conventionnels qui restent indérogeables. Elle garde le monopole de la mutualisation des financements paritaires (prévoyance, formation professionnelle). Nouveauté : seraient désormais de son domaine  exclusif la régulation des CDD et du travail temporaire, mais aussi le recours au contrat de chantier, qui serait de facto élargi en contrat de mission.

Le projet boucle ainsi l’évolution initiée par la loi Fillon du 4 mai 2004  et confirmée par la loi du 8 août 2016: à l’exception des domaines limitativement énumérés par la loi, l’accord d’entreprise – majoritaire- a les mains libres : en cas de concours avec une convention de branche, il prime. Mais s’agissant des TPE et autres PME n’ayant pas de délégués pour négocier, la branche reste heureusement  là  pour leur donner accès à la flexibilité : bref, un TGV pour les grandes entreprises, et un omnibus pour les petites.  

Par Jean-Emmanuel Ray