Après son analyse du « Muslim Ban », Idris Fassassi, Maître de Conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas, LL.M. Harvard Law School, décrypte la dernière version du décret anti-immigration de l’administration Trump. 

« Les modifications opérées ne mettent pas le décret à l’abri des recours dénonçant la discrimination religieuse »

Quels étaient les enseignements principaux de la décision de la Cour d’appel fédérale en Californie le 9 février dernier ?

Pour comprendre le nouveau décret signé lundi 6 mars par le Président Trump, il faut en effet avoir à l’esprit les aspects majeurs de la décision de la Cour d’appel fédérale qui avait confirmé la suspension du décret initial. L’administration a en effet tenté de « revoir sa copie » au regard des difficultés pointées par les juges.

En l’espèce, la Cour avait rejeté l’argument de l’administration selon lequel les actes du président concernant l’interdiction d’entrée sur le territoire des étrangers échapperaient à tout contrôle juridictionnel. Elle reconnaît que les juges doivent faire preuve de déférence envers l’Exécutif sur ces questions, mais écarte fermement l’idée d’une immunité juridictionnelle.

Pour obtenir la levée de la suspension du décret, le Gouvernement devait prouver qu’il avait de fortes chances de l’emporter sur le fond du litige. Sur ce point, la Cour considère que ce n’est pas le cas, en raison des objections liées à la méconnaissance du Cinquième amendement garantissant « une procédure régulière de droit ». Cette disposition impose des exigences procédurales, telles qu’une une audience ou une notification en cas d’atteinte à la liberté. Prenant en considération la situation des résidents permanents – titulaires de la green card -, affectés par la mesure ou susceptibles de l’être au regard du flou entourant la portée du décret, la Cour donne tort à l’administration.

Enfin, si la Cour ne s’est pas prononcé sur la question majeure en l’espèce à savoir la question de la violation des dispositions constitutionnelles interdisant la discrimination religieuse, elle prend toutefois le soin de noter le caractère « sérieux » des arguments soulevés par les Etats sur ce point. Elle n’était pas tenue de poursuivre l’analyse sur ce terrain, puisqu’elle avait déjà déterminé que le Cinquième amendement faisait obstacle à la demande du Gouvernement. On peut donc interpréter la démarche de la Cour comme une manière d’afficher son scepticisme à l’égard des arguments de l’administration sur la neutralité de la mesure.

A la suite de la décision de la Cour d’appel, Donald Trump a dénoncé une « décision politique », mettant en danger la Nation et a laissé entendre qu’il se tournerait vers la Cour suprême. Il a finalement opté pour une autre solution, à savoir l’édiction d’un nouveau décret.

Que prévoit le nouveau décret ?

Ce nouvel executive order abroge et remplace le premier publié le 27 janvier dernier.
Sur la forme, on note un changement dans la manière même dont il a été présenté, de manière beaucoup plus sobre que le premier. On constate également que le décret est beaucoup plus long, détaillé et technique, signe des précautions que l’administration a voulu prendre pour parer aux recours.

Sur le fond, en premier lieu, l’interdiction d’entrée sur le territoire américain pendant 90 jours concerne désormais six pays (Soudan, Iran, Yémen, Somalie, Libye, Syrie) contre sept initialement, l’Irak étant exclu de cette liste. L’administration a pris le soin d’inclure des extraits d’un rapport du Département d’Etat justifiant en quoi les ressortissants de ces six pays continuent de poser une menace à la sécurité nationale.

Élément important, le décret entrera en vigueur à partir du 16 mars et non immédiatement, ce qui est censé permettre une meilleure application en pratique, et vaut également en termes de garantie procédurale.

Il est prévu explicitement que la mesure ne s’applique pas aux résidents permanents ni aux détenteurs de visa. L’administration répond en cela aux objections soulevées par les juges de la Cour d’appel fédérale dans la décision du 9 février.

L’administration prévoit également que des exceptions pourront être accordées au cas par cas, ce qui témoigne d’une volonté d’instaurer une plus grande souplesse.
En deuxième lieu, le nouveau décret prévoit toujours une suspension du programme d’accueil de réfugiés pour 120 jours, le temps qu’une évaluation complète soit mise en place. Toutefois, alors que le décret initial prévoyait une suspension indéfinie concernant les réfugiés syriens, ce n’est plus le cas dans la nouvelle version.

En troisième lieu, la disposition prévoyant le traitement préférentiel pour les réfugiés issus d’une religion minoritaire dans leur pays n’est plus présente dans la nouvelle version. Les propos du Président suggérant qu’il visait les minorités chrétiennes avaient en effet renforcé la thèse d’une volonté de discriminer sur le fondement de la religion.

Sans apporter de changement fondamental, les modifications apportées ne sont pas pour autant « cosmétiques », comme cela a pu être dit. Elle vise à mettre le décret à l’abri des recours, ce qui n’est toutefois pas le cas.

A la lumière des ajustements opérés, ce décret est-il conforme au droit ?

Plusieurs associations de défense des libertés ont d’ores et déjà indiqué qu’elles saisiraient la justice, considérant que ce nouveau texte est un « Muslim Ban 2.0 », aussi inconstitutionnel que le premier.

Il est clair que le décret est plus solide juridiquement que le premier. Ceci risque d’ailleurs de compliquer les recours, dans la mesure où, à l’aune de la nouvelle rédaction et des nombreuses exceptions prévues, il sera sans doute plus difficile pour des personnes physiques ou les Etats de prouver leur intérêt à agir, condition impérative pour contester le décret.

Sur le fond, le Gouvernement a revu sa copie et a entendu court-circuiter les recours fondés sur la clause de procédure régulière en excluant du champ d’application les résidents permanents et les détenteurs de visas. Reste néanmoins le point fondamental, à savoir la conformité de ce nouveau décret aux dispositions constitutionnelles interdisant les discriminations religieuses.
Sur ce point, la situation est peu ou prou inchangée. D’ailleurs, le 13 février dernier, une juge fédérale avait donné tort à l’administration précisément sur ce point, en soulignant la probable violation des dispositions constitutionnelles interdisant la discrimination sur le fondement de la religion.

La juge s’était appuyée sur les déclarations de Donald Trump et de ses conseillers, notamment Rudolph Giuliani, affirmant que le décret n’était autre que la traduction en des termes plus neutres du projet d’interdire l’entrée du territoire aux musulmans à la suite de la tuerie de San Bernardino.

Ce contexte est toujours présent, malgré les modifications opérées et malgré le passage soulignant que le décret n’est pas motivé par une volonté de discriminer. En d’autres termes, l’administration a certes revu sa copie mais elle ne pouvait effacer un contexte qui suggère, à tort ou à raison, que la mesure bien que formellement neutre est, en réalité, motivée par une intention de discriminer. Et le juge américain a reconnu qu’il pouvait aller au-delà de la lettre du texte pour apprécier sa constitutionnalité au regard de l’objectif poursuivi, et qu’il pouvait ainsi sanctionner une « hostilité masquée » de la puissance publique.

Sur ce point, l’administration Trump est en quelque sorte prisonnière de ses déclarations passées, qu’aucune correction ne peut donc effacer. 

L’enjeu des prochaines décisions tient donc à savoir si et comment le juge appréhendera ce contexte et comment il le conciliera avec la déférence dont il a traditionnellement fait preuve à l’égard de l’exécutif en matière d’immigration et de sécurité.

Par Idris Fassassi