Après Lille, la Justice a décidé à la fin du mois de novembre dernier d’annuler l’encadrement des loyers à Paris.

Décryptage de cette décision par Hugues Périnet-Marquet, professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

« La loi ALUR avait permis la fixation de loyers de référence»

Quelle est la décision rendue par la justice concernant l’encadrement des loyers?

Dans deux décisions aux motivations identiques, le Tribunal Administratif de Lille, le 17 octobre 2017 et celui de Paris, le 28 novembre de la même année, ont décidé d’annuler les arrêtés pris par les Préfets compétents fixant les loyers de référence dans les villes de Paris et de Lille. La loi ALUR avait, en effet, permis la fixation de loyers de référence, découlant d’une moyenne des loyers relevés par l’observatoire des loyers. Ces loyers servaient de base à la fixation de loyers de référence majorés de 20%, plafond que, sauf exception, les loyers ne devaient pas dépasser, et de loyers de référence minorés de 30%, seuil en dessous duquel, dans certaines conditions, un rattrapage pouvait être opéré. Etaient donc légaux tous les loyers variant dans un pourcentage de 20% à la hausse et de 30% à la baisse par rapport au loyer de référence moyen fixé par le Préfet au regard, dans chaque secteur, des loyers relevés par l’observatoire des loyers.

L’annulation par les tribunaux administratifs de Lille et de Paris de tous les arrêtés fixant les loyers de référence normaux, majorés et minorés rend donc inapplicable le dispositif Duflot d’encadrement des loyers. Cette annulation n’a cependant pas pour effet d’autoriser une hausse immédiate. En effet, rien, dans la loi, ne permet de modifier le loyer d’un bail en cours. La majoration n’est possible que lors du renouvellement du bail, c’est-à-dire, au minimum, au bout de 3 ans. De plus, en ce qui concerne Paris, la possibilité d’augmenter le loyer est quasiment nulle dans la mesure où s’applique une autre règle, le décret du 27 juillet 2017 relatif à l’évolution de certains loyers, pris en application de l’article 18 de la loi du 6 juillet 1989, qui interdit d’augmenter le loyer en cas de renouvellement du bail par le même locataire ou de nouvelle location. Or, ce décret n’a pas été annulé par le juge administratif et continue à s’appliquer dans toute sa rigueur. Les seules possibilités d’augmentation sont la vacance du logement depuis plus de 18 mois ou la réalisation d’importants travaux dans le logement ou dans l’immeuble. En dehors de ces cas, le loyer devra donc être maintenu.

L’impact de l’annulation des arrêtés en cause prononcée par le juge administratif ne concerne donc que les baux à venir pour lesquels, la décision étant d’application immédiate, le mécanisme de blocage des loyers n’est plus applicable. Mais cela ne peut jouer, compte tenu de ce qui vient d’être dit plus haut, que pour les logements n’ayant pas déjà été loués récemment.

Pourquoi cette décision a-t-elle été prise?

L’annulation des arrêtés provient du non-respect des termes de la loi et du décret fondant l’encadrement des loyers. L’article 17 de la loi du 6 juillet 1989, tel que rédigé par la loi ALUR précise, en effet, que « les zones d’urbanisation continue de plus de 50.000 habitants, où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logement entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant qui se caractérise, notamment, par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d’acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logement par rapport au nombre d’emménagement annuel dans le parc locatif social sont dotés d’un observatoire local des loyers. Un décret fixe la liste des communes comprises dans ces zones. Dans ces zones, le représentant de l’Etat dans le département fixe chaque année par arrêté un loyer de référence… ». Or, le décret avait intégré toutes les communes du secteur géographique. Dès lors, compte tenu de la rédaction des textes, les zones d’urbanisation continue de plus de 50.000 habitants devant être dotées d’un observatoire local des loyers et dans lesquelles le Préfet devait fixer, chaque année, par arrêté, des loyers de référence devaient nécessairement comprendre toutes les communes figurant sur la liste annexée au décret, qui sont, pour l’ Ile de France, au nombre de 412.

 Le tribunal administratif a refusé d’admettre que la Ville de Paris puisse se prévaloir, au regard de ces textes, d’une spécificité suffisante pour justifier l’application de l’encadrement des loyers sur son seul territoire. Il a considéré, de surcroît, que l’erreur de droit résultant de la non-application du mécanisme à l’ensemble des communes de la zone avait eu pour effet que les loyers de référence avaient été fixés pour des secteurs géographiques délimités à l’intérieur de la seule commune de Paris, et non à l’échelle de l’ensemble de l’agglomération, ce qui avait pu avoir des effets non-négligeables sur leur détermination. Cela justifiait donc l’annulation des arrêtés dans leur totalité, y compris en ce qui concerne la Ville de Paris.

Quelle solution le Gouvernement peut-il trouver pour tenter de contrôler les loyers?

A la suite des deux jugements, le Gouvernement a immédiatement annoncé qu’il faisait appel. Cependant, ce dernier n’est pas suspensif, ce qui fait, qu’a priori, la situation ne sera pas rapidement clarifiée. Au regard des arguments avancés, il n’est d’ailleurs pas du tout certain que la Cour Administrative d’Appel prenne une position différente de celle du tribunal. L’encadrement des loyers n’est donc pas près de s’appliquer aux nouveaux baux.

Pour sortir de l’impasse, le Gouvernement a deux solutions.

La première, est, bien évidemment, d’appliquer la loi telle qu’elle a été rédigée, c’est-à-dire d’aboutir à un encadrement des loyers dans toutes les communes des agglomérations concernées, ce qui suppose que l’observatoire des loyers soit alimenté en données pour toutes ces communes. Or, tel n’est pas le cas, et beaucoup des communes concernées sont très réticentes à cet encadrement. Une telle mise en œuvre s’avère donc des plus improbables.

Une autre possibilité est de modifier la loi pour qu’elle ne s’applique plus à l’ensemble d’une agglomération, mais ville par ville. De ce point de vue, ce n’est sans doute pas par hasard que l’article 42 de l’avant-projet de loi ELAN, la grande loi sur le logement qui doit être votée en 2018, prévoit la rédaction d’une ordonnance pour que l’agrément des observatoires locaux des loyers n’entraine pas automatiquement la mise en place du dispositif d’encadrement des loyers. Il existe donc bien une volonté de revoir les règles légales en la matière, mais celle-ci n’aura pas d’effets à court terme. L’ordonnance doit intervenir dans les six mois de la publication de la loi dont le vote définitif n’est prévu qu’à la fin du premier semestre. Dès lors, sauf surprise, l’encadrement des loyers ne devrait pas redevenir d’actualité avant, au mieux, 2019.

Par Hugues Périnet-Marquet