Le référendum sur une possible indépendance de la Catalogne a agité les récents débats politiques et juridiques en Espagne, et bien au-delà de ses frontières. Francesco Martucci, Professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas décrypte les conséquences d’une éventuelle indépendance catalane au sein-même de l’Union européenne.

 « L’Union ne pourrait agir que dans le cas où la violation des droits deviendrait structurelle »

 L’Union européenne est-elle compétente pour intervenir dans la crise espagnole ?

Plusieurs voix se sont élevées pour exiger des institutions de l’Union qu’elles interviennent dans la crise espagnole. Cependant, l’Union européenne ne peut exercer que les compétences qui lui sont attribuées par les Traités. Aucune base juridique ne lui permet ni de prendre position ni d’adopter une action quant à l’organisation territoriale d’un État membre. Au contraire, l’article 4 § 2 du Traité sur l’Union européenne impose à l’Union le respect de l’identité nationale des États membres « inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale ». C’est pourquoi, le 2 octobre 2017, la Commission a déclaré : « En vertu de la Constitution espagnole, le scrutin organisé hier en Catalogne n’était pas légal ». Pour elle, « il s’agit d’une question interne à l’Espagne qui doit être réglée dans le respect de l’ordre constitutionnel de ce pays ».

L’Union n’est pas davantage compétente pour intervenir dans la gestion par le gouvernement espagnol de la crise. L’article 4 § 2 du Traité sur l’Union européenne lui impose en effet le respect des « fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale ». La Commission a néanmoins pris le soin de préciser que le processus doit être géré « dans le plein respect de la Constitution espagnole et des droits fondamentaux des citoyens qui y sont consacrés ». Si violation des droits fondamentaux il y a, elle doit être contestée devant le juge espagnol et, les voies de droit national épuisées, devant la Cour européenne des droits de l’homme. L’Union ne pourrait agir que dans le cas où la violation des droits deviendrait structurelle. Elle activerait la procédure de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne pour violation des valeurs fondamentales. On en est encore très loin et, on le voit avec la Pologne, la procédure est complexe à mettre en œuvre.

Si la Catalogne devient indépendante, serait-elle / pourrait-elle être un État membre de l’Union européenne ?

Une majorité d’indépendantistes catalans entendent insérer dans une « future constitution » leur engagement d’entamer des démarches visant au maintien ou, à défaut, à l’adhésion de la Catalogne dans l’Union. La déclaration précitée du 2 octobre 2017 résume la situation en droit de l’Union : « Nous réaffirmons également le point de vue juridique adopté par la présente Commission et par celles qui l’ont précédée. Si un référendum était organisé d’une façon qui serait conforme à la Constitution espagnole, cela signifierait que le territoire qui partirait se retrouverait en dehors de l’Union européenne ». Un État nouvellement indépendant, après avoir fait sécession d’un État membre, deviendrait un pays tiers à l’Union. Par conséquent, la Catalogne devrait introduire une demande d’adhésion auprès de l’Union et se plier à la procédure prévue par l’article 49 du Traité sur l’Union européenne qui requiert la satisfaction de certaines conditions.

Pour être candidat à l’adhésion, il faut être un État européen. Si la Catalogne est en Europe, après avoir déclaré son indépendance, serait-elle reconnue comme un État par les autres États membres et, en premier lieu, par l’Espagne ? Rien n’est moins sûr. Par ailleurs, pour être candidat, il faut aussi respecter les valeurs de l’Union, dont celle de l’État de droit. Toute indépendance acquise en violation de la Constitution espagnole signifierait que cette condition n’est pas remplie ; dans l’état actuel des choses, la Commission ne peut que constater qu’ « en vertu de la Constitution espagnole, le scrutin organisé (…) en Catalogne n’était pas légal ». Last but not least, la procédure implique de réunir l’unanimité au Conseil et l’accord d’adhésion ne peut entrer en vigueur que s’il est conclu et ratifié par tous les États membres et donc l’Espagne… Compte tenu de la faible chance d’intégrer l’Union, devenue indépendante, la Catalogne risque fort de demeurer un pays tiers à l’Union européenne.

 La Catalogne-pays tiers pourrait-elle participer au marché intérieur et à la zone euro ?

Le droit de l’Union ne s’appliquera pas à la Catalogne-pays tiers. Des droits de douane et restriction aux échanges ainsi qu’à la mobilité de personnes pourraient être établis entre la Catalogne et les États membres de l’Union. Le nouvel État devrait donc conclure des accords avec l’Union pour éviter l’isolement que ce soit en participant au marché intérieur ou à la zone euro.

Une solution serait de rejoindre l’Espace économique européen (EEE), à l’instar de la Norvège. La Catalogne aurait accès au marché intérieur, mais ne bénéficierait pas de certaines politiques comme la PAC. Tout en devant respecter l’acquis communautaire et participer au budget de l’Union, elle serait exclue du processus décisionnel. À défaut de participer à l’EEE, la Catalogne pourrait conclure un ou des accords avec l’Union pour établir des coopérations sectorielles sur le modèle suisse ou une union douanière sur le modèle turc. Un accord de libre-échange, à l’instar du CETA, est une solution envisageable, mais posera la question de la nécessité pour les États membres de ratifier une partie de l’accord.

Par-delà l’imbroglio constitutionnel que constituent les questions budgétaires, la Catalogne indépendante ne ferait plus partie de la zone euro. La première solution consisterait, avec l’assentiment tacite de la Banque Centrale Européenne, à garder l’euro comme monnaie par un phénomène dit « d’euroïsation » comme c’est le cas au Monténégro. Rappelons que pour faire partie de la zone euro, il faut être État membre. Des accords monétaires ont également été conclus avec des micro-États, comme Andorre ou Monaco. La seconde solution impliquerait d’introduire une nouvelle monnaie. Dans les deux cas, il faudra créer une banque centrale puisque les banques établies en Catalogne ne pourront plus se refinancer auprès de la banque centrale d’Espagne. La Catalogne risque, du moins au cours d’une période transitoire, de connaître une crise de liquidités.

Au-delà des aspects juridiques et politiques, s’avèrent ainsi déterminants les implications économiques et financières de l’indépendance.

Par Francesco Martucci

Avec Juliette Douchet, Tristan Favaletto, Victor Gil, Menehould Michaud de Brisis, Lucie Servel et Juliette Tamalet (étudiants de la promotion 2017-2018 du Master 2 Droit et contentieux de l’Union européenne de l’Université Paris II Panthéon-Assas)