Au début du mois d’avril, seize pays de l’Union Européenne se sont entendus sur la création d’un Parquet européen afin de lutter contre les infractions aux intérêts financiers de l’UE et à la TVA transfrontalière. Elise Letouzey, Maître de conférences à l’Université d’Amiens, décrypte la création de ce Parquet européen.

« Le Parquet européen revient à la création d’un organe indépendant, indivisible et supranational »

Qu’est-ce que le Parquet européen ?

Le Parquet européen, tel qu’il ressort du dernier projet de règlement établi par le Conseil de l’Union européenne en janvier 2017, serait une institution judiciaire européenne chargée d’organiser la poursuite des atteintes aux intérêts financiers de l’Union.

Sur le fond, le Procureur européen a vocation à recevoir une compétence directe en matière de fraude au budget de l’Union, qu’il s’agisse de dépenses ou de recettes. Globalement, cela revient à confier un champ d’action au Ministère public européen qui recouvrirait par exemple, les fonds européens, la politique agricole commune, mais aussi les droits de douane ou la fraude à la TVA intracommunautaire. Plus précisément, est prévue l’adoption d’une directive dressant la liste des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

Actuellement, existe l’OLAF (l’Office de Lutte AntiFraude), mais son rattachement à la Commission européenne, la limitation de son pouvoir d’action à des enquêtes administratives et le faible taux de poursuites auquel conduisent ses investigations révèlent des insuffisances dans la lutte contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union. Une coopération étroite avec l’OLAF mais aussi Eurojust et Europol sera alors nécessaire.

Le Parquet européen revient à la création d’un organe indépendant, indivisible et supranational afin de coordonner l’action publique lorsque sont concernées des atteintes aux intérêts financiers de l’Union : le Parquet européen antifraude dispose de pouvoirs propres. La forme du Ministère public retenue pour le moment est le produit d’une approche consensuelle conduisant à l’abandon de l’idée d’un Parquet fédéral et au respect des traditions et des ordres juridiques internes.

Il en ressort un statut quelque peu hybride pour le Procureur européen : il sera à la fois solidement ancré dans les structures juridiques nationales, tout en étant en même temps un organe européen. Techniquement, cela conduit à conférer au Parquet européen une compétence partagée, c’est-à-dire qu’il serait à la fois central et décentralisé. Il est central par la création d’un bureau central composé du chef du Parquet européen, avec un collège, des chambres permanentes et des Procureurs européens. Il est décentralisé en ce que des Procureurs européens délégués seront détachés dans les Etats membres.

Pourquoi seulement 16 pays en font partie pour l’instant ?

La réticence de certains Etats s’explique de plusieurs manières, mais elle ne peut se comprendre sans avoir un aperçu du processus législatif qui est à l’oeuvre.

L’idée d’un Ministère public européen n’est pas nouvelle, elle a fait l’objet d’une large réflexion doctrinale et législative. À ce titre et depuis le Traité de Lisbonne, le Procureur européen dispose d’un fondement institutionnel : l’article 86 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne prévoit expressément que « Pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust ». Si la procédure requiert l’unanimité, il faut bien admettre que l’instauration du Parquet européen conduit à une forte dissonance. En effet, les questions de statut du Parquet, de souveraineté des Etats, de financement de l’institution et des actes d’enquête réalisés sont autant de points d’achoppement sur lesquels les Etats n’arrivent pas à s’accorder.

Néanmoins, il y a depuis 2013 une accélération dans la concrétisation de cet organe et l’année 2017 pourrait se révéler décisive. Une première tentative a consisté en un projet de règlement de la Commission européenne (fervent partisan du Parquet européen) élaboré en 2013. Le projet a été livré au nécessaire contrôle de subsidiarité par les Parlements des Etats membres. Lors de ce contrôle, a été émis un carton jaune conduisant à l’abandon du projet. En effet, les parlements européens de certains Etats membres ont estimé que la forme du Parquet européen proposée ne respectait pas le principe de subsidiarité.

C’est donc le Conseil de l’Union européenne qui a remis l’ouvrage sur le métier et a proposé un projet de règlement. Mais le trois avril dernier, seize Etats membres (la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, la République tchèque, l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne, la Finlande, la France, la Lituanie, le Luxembourg, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie) se sont associés afin de notifier à la Commission, au Parlement et au Conseil leur volonté de recourir à la procédure de coopération renforcée.

D’ailleurs, certains Etats à l’origine de cette coopération renforcée sont ceux-là mêmes qui avaient exprimé leur défiance à l’endroit du projet de la Commission, signe que le désaccord ne résidait pas tant dans le principe même d’un organe judiciaire européen que dans la méthode et les modalités techniques.

Politiquement, l’orientation vers une coopération renforcée s’inscrit dans le cours logique de l’instauration du Parquet européen. En effet, cette procédure est explicitement envisagée par l’article 86 du TFUE, présentant le double avantage de pouvoir amorcer la création du Parquet européen sans unanimité (seuls les membres de la coopération renforcée vont voter sur le texte au Conseil), et de laisser aux Etats membres la possibilité de rejoindre le processus à tout moment. Il faut ajouter à cela que le Danemark, le Royaume-Uni et l’Irlande ne participeront pas à l’institution en raison de la clause d’opt-out.

Quand entrera-t-il en vigueur et comment exercera-t-il ses activités ?

Le projet présenté par le Conseil en janvier 2017 constitue la base de travail sur laquelle la coopération renforcée d’Etats membres va négocier. Le texte prévoit une période de mise en place s’achevant le 30 juin 2020, date à partir de laquelle le Parquet devrait être opérationnel. Mais le projet de règlement doit obtenir l’approbation du Parlement européen avant de pouvoir être adopté de manière définitive.

Les aspects concrets de l’instauration du Ministère public européen et l’exercice de ses activités soulèvent des questions nombreuses et complexes en matière de compétence, de budget, d’indépendance, ou encore de contrôle judiciaire.

Par exemple, l’Union européenne n’ayant pas de code pénal ni de code de procédure pénale, la question se pose de savoir quel sera le droit applicable lors de l’enquête. Selon le projet de règlement, le droit applicable serait celui de l’État membre concerné par les faits.
Sur le fond, lorsque le Parquet européen devra se prononcer sur une poursuite devant les juridictions nationales, ses compétences seront définies par renvoi au droit pénal des États membres. Sur la forme, le Parquet européen devra respecter les règles de procédure pénale de l’Etat concerné, comme par exemple les délais de prescription de l’action publique.

Dans la mesure où c’est une compétence partagée, l’articulation avec le droit interne devra être précisément définie. Pour l’heure, le projet de règlement prévoit clairement que la compétence du Parquet européen à l’égard des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union devrait, en règle générale, primer sur les revendications nationales de compétence. En d’autres termes, la primauté d’action revient au Parquet européen pour décider de mener ou non une enquête. En France, une collaboration étroite sera nécessaire avec le Parquet National Financier (PNF) et les Juridictions Interrégionales Spécialisées (JIRS).

Enfin la question budgétaire est un point sensible car est en jeu l’indépendance de l’institution : le projet s’oriente vers la voie d’un budget propre pour le fonctionnement du Parquet européen, c’est-à-dire alimenté pour l’essentiel par une contribution du budget de l’Union. Mais les coûts liés aux mesures d’enquête du Parquet européen devraient en principe être pris en charge par les autorités nationales qui les exécutent. Toutefois, lorsqu’il s’agit de mesures dont les coûts sont exceptionnellement élevés, occasionnés, par exemple, par des expertises, de vastes opérations policières ou des activités de surveillance menées durant une longue période, ces dépenses pourraient être remboursées en partie par le Parquet.

Par Elise Letouzey