Nouvelle rubrique pour le Club des juristes sur son blog « L’actualité au prisme du droit ».

Le premier billet s’intéresse à l’enquête concernant François Fillon, décryptée en trois questions posées à Didier Rebut, Professeur de droit pénal à l’Université Panthéon-Assas et Membre du Club des juristes.

François Fillon pourrait parfaitement être renvoyé devant une juridiction sans mise en examen préalable

Pourquoi l’enquête est-elle aussi rapide ?

L’enquête est aussi rapide car le Parquet National Financier a vraisemblablement le souci d’interférer le moins possible avec la campagne électorale.

Les révélations concernant François Fillon et son entourage ont mis à mal sa campagne. Mais, contrairement à ce qui peut être dit ça et là, si l’affaire  va  vite, ce n’est pas pour perturber la campagne de François Fillon, mais plutôt pour ne pas lui nuire.

La presse a en effet révélé suffisamment d’éléments factuels pour qu’il y ait lieu d’enquêter de la part du parquet. Celui-ci a vraisemblablement décidé d’agir vite pour terminer son enquête dans des délais qui ne perturbent la campagne électorale sur l’ensemble de sa durée.

Le Parquet National Financier fait donc le pari d’être à-même de mener les investigations nécessaires dans un laps de temps très court. Ce pari est fait car le Parquet suppose que l’affaire est assez simple. Malgré cela, des découvertes peuvent être faites au cours des multiples investigations et venir entraver la rapidité supposée de l’enquête.

La mise en examen constitue-t-elle une étape obligatoire ?

La mise en examen n’est pas du tout indispensable.

Elle n’intervient que dans le cadre d’une information judiciaire, qui est la phase où un juge d’instruction intervient. Or, il faut savoir que l’information judiciaire n’est absolument pas impérative. Le Parquet peut très bien passer directement de l’enquête à la juridiction de jugement sans passer par l’ouverture d’une information judiciaire et la saisine d’un juge d’instruction.

De plus, le Parquet National Financier en charge de l’affaire revendique ouvertement et publiquement le fait de n’ouvrir des informations judiciaires que dans une affaire sur quatre. Les trois quarts du temps,  il se passe donc du juge d’instruction car l’instruction allonge considérablement la phase préparatoire du procès pénal.

Car l’objectif déclaré du Parquet national financier – et cela vaut pour l’ensemble des affaires dont il est saisi – est l’efficacité et la rapidité. Or, l’instruction est une phase très formalisée avec beaucoup de recours pour les personnes concernées (personnes mises en examen, victimes), ce qui retarde évidemment la saisine de la juridiction de jugement.

Quelles sont les issues possibles à ce dossier ?

Trois issues différentes sont à envisager dans le cadre de cette enquête :

La moins vraisemblable qui voudrait que le parquet ouvre une information judiciaire avec un juge d’instruction ; cette possibilité interviendrait au cas où le parquet considérerait à l’issue de toutes les investigations qu’il accomplit en ce moment qu’il est nécessaire d’en accomplir d’autres et que cet accomplissement doit être confié à un juge d’instruction.

Les deux autres issues concernent le cas où le parquet – ce qui semble aujourd’hui le plus vraisemblable – estime qu’il a pu lui-même faire procéder à l’ensemble des investigations nécessaires.

Dans ce cas, il pourrait procéder à un classement sans suite s’il devait conclure qu’aucune infraction n’a été commise. L’affaire en resterait donc là… au moins au plan juridique, indépendamment de son utilisation politique.

L’autre possibilité serait celle d’une saisine directe de la juridiction de jugement si le parquet estimait qu’une ou plusieurs infractions ont bien été commises ; on parle de citation directe. Cette citation consisterait dans un renvoi d’un ou plusieurs protagonistes de cette affaire devant le tribunal correctionnel.

Le dossier pourrait d’ailleurs être classé pour certains protagonistes et donner lieu à une citation devant le tribunal correctionnel pour d’autres. Par exemple, le volet parlementaire peut très bien ne pas être pénal à la différence du volet concernant la Revue des Deux Mondes.

Le plus vraisemblable est donc, à mon avis, qu’il n’y ait pas d’instruction. Néanmoins, – il faut insister là-dessus – une citation devant une juridiction de jugement n’est pas moins grave, au contraire. Le renvoi devant une juridiction constitue une accusation alors que la mise en examen est une accusation devant le juge d’instruction qui reprend le dossier et peut éventuellement prononcer un non-lieu par la suite.

 

Par Didier Rebut