Didier Rebut, professeur de droit pénal à l’Université Paris II et membre du Club des Juristes, décrypte la décision du PNF d’ouvrir une information judiciaire sur l’affaire des emplois présumés fictifs de Pénélope Fillon.

Didier Rebut : « Le PNF essaye de sécuriser la procédure face au grief de contestation de sa compétence et  au risque de prescription de certains faits »

 

Le parquet national financier (PNF) a annoncé avoir ouvert une information judiciaire dans l’affaire des emplois présumés fictifs de Mme Fillon. En quoi cela consiste-t-il ?

L’ouverture d’une information judiciaire était l’une des options qui s’offraient au PNF, qui pouvait aussi prolonger son enquête ou renvoyer l’affaire devant le tribunal correctionnel au moyen d’une citation directe. Il a choisi de confier la procédure à trois juges d’instruction chargés de diriger les investigations restant à accomplir. Le PNF continue certes d’être présent à la procédure mais il perd sa qualité de directeur d’enquête.

Désormais, une ou plusieurs mises en examen peuvent intervenir à tout moment, et notamment avant les élections. Cela dépend du contenu du dossier transmis aux juges d’instruction. La mise en examen est laissée à leur entière appréciation. Les juges d’instruction peuvent aussi recourir au statut de témoin assisté qui présente l’avantage d’être moins infâmant pour la personne concernée.

L’information judiciaire est par ailleurs une procédure très formelle à la différence de l’enquête de police. Son déroulement est très encadré avec de nombreux droits pour ceux qu’elle concerne : personnes mises en examen, témoins assistés, parties civiles. Celles-ci peuvent ainsi solliciter officiellement des investigations ou contester les actes et décisions des enquêteurs et des juges d’instruction devant une juridiction d’appel. Pour cette raison, les informations judiciaires sont des procédures longues dont la durée prend au minimum une année et s’étend même souvent sur plusieurs années. L’information judiciaire ne pourrait cependant pas continuer si M. Fillon était élu, en raison de l’immunité et l’inviolabilité temporaires dont bénéficie le président de la République, qui implique la suspension de la poursuite des infractions commises avant son élection. En revanche, cette immunité ne concernerait pas les autres personnes en cause dans cette affaire comme son épouse et ses enfants. Celles-ci pourraient donc être renvoyées devant le tribunal alors même que cela ne serait pas possible pour lui.

L’ouverture d’une information judiciaire met-elle fin à la polémique sur la compétence du PNF ?

Cette polémique porte sur l’application du délit de détournement de fonds publics à des élus. Les avocats de François Fillon soutiennent que ce délit ne leur est pas applicable, de sorte que le PNF aurait agi en dehors de sa compétence puisqu’il tirerait, dans cette affaire, sa compétence de cette infraction. L’ouverture d’une information judiciaire va leur permettre de soumettre cette question à la chambre de l’instruction. La mise en examen ou le placement sous statut de témoin assisté donnent en effet le droit de soulever des nullités. La reconnaissance par la chambre de l’instruction de l’incompétence du PNF pourrait conduire à l’annulation de l’ensemble des actes d’enquête. Il faut pour cela que les faits de cette affaire ne correspondent à aucune des infractions entrant dans la compétence du PNF.

Toutefois, il n’est pas anodin de relever que l’information judiciaire a aussi été ouverte pour le délit de trafic d’influence défini par l’article 432-11 du Code pénal, qui entre dans la compétence au PNF en application de l’article 705 du Code de procédure pénale. L’application du trafic d’influence aux élus ne souffre cette fois aucune incertitude à la différence du détournement de fonds publics. Le délit de trafic d’influence, qui est défini par l’article 432-11 du Code pénal, vise ainsi expressément les personnes investies d’un mandat électif public. Ce faisant, le PNF essaie de couper court à la contestation de sa compétence puisque le délit de trafic d’influence s’applique sans discussion aux élus et relève des délits pour lesquels l’article 705 du Code de procédure pénale lui donne compétence.

 S’il était confirmé que certains faits de cette affaire correspondent à un trafic d’influence, la compétence du PNF ne pourrait plus être contestée. La question de l’application du délit de détournement de fonds publics aux élus deviendrait donc indifférente. Il faut, sur ce point, signaler que les juges d’instruction ne sont pas liés par les qualifications du parquet. Ils pourraient, par exemple, requalifier le détournement de fonds publics en abus de confiance s’ils estimaient que les élus n’entrent pas dans le champ d’application du détournement de fonds publics. L’impossibilité d’appliquer le détournement de fonds publics aux élus ne protège donc pas nécessairement François Fillon contre toute poursuite pénale pour les emplois de son épouse et de ses enfants. Cette poursuite serait néanmoins subordonnée à la preuve que ces emplois étaient bien fictifs.

Le communiqué du PNF justifie l’ouverture d’une information judiciaire par « l’ancienneté d’une partie des faits concernés et l’exigence de mise en œuvre de l’action publique résultant de l’article 4 de la loi adoptée définitivement le 16 février 2017 » ? Comment comprendre cela ?

Le PNF explique qu’il est dans l’obligation d’ouvrir une information judiciaire au regard de l’article 4 de la loi du 16 février 2017 réformant la prescription. Cette loi a introduit – c’est une nouveauté – un délai butoir pour la poursuite des délits dissimulés dont le détournement de fonds publics, le trafic d’influence et l’abus de biens sociaux font partie*. Ce délai a été fixé à 12 ans après la commission de ces délits, durée au-delà de laquelle ils ne peuvent plus être poursuivis. Toutefois la règle ne s’applique pas aux infractions qui ont valablement donné lieu à la mise en mouvement de l’action publique avant son entrée en vigueur, laquelle n’a opportunément toujours pas eu lieu. L’ouverture d’une information judiciaire permet donc d’éviter le jeu de la prescription. Elle donne en effet lieu à une mise en mouvement de l’action publique, ce qui n’est pas le cas d’une enquête sous la direction du parquet. Alors que les faits commis depuis plus de 12 ans, comme ceux concernant l’emploi de Mme Fillon dans les années 1990 et au début des années 2000, auraient pu être prescrits du fait de la loi du 16 février 2017, l’ouverture d’une information judiciaire évite que la loi nouvelle leur soit applicable.

L’explication donnée par le PNF laisse aussi comprendre que, sans cette loi, il aurait continué son enquête. Sous cet aspect, le fait que l’information judiciaire n’ait pas été ouverte contre personne dénommée mais contre X révèle que le PNF estime que les faits sont susceptibles de mettre en cause d’autres personnes que celles entendues, et que ces personnes ne sont pas identifiées pour le moment.

L’information judiciaire vise désormais également le délit de manquement aux obligations de déclaration à la Haute autorité sur la transparence de la vie publique, qui est prévu par l’article 26 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Ce visa révèle que l’affaire concerne aussi des faits autres que ceux relatifs aux emplois de Mme Fillon et qui sont, par hypothèse, récents, puisque postérieurs à la loi du 11 octobre 2013. Une loi pénale ne peut en effet pas s’appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur.

Par conséquent, l’affaire concerne à la fois des faits très anciens, pour lesquels la prescription est susceptible de se poser, et des faits très récents relevant d’un délit sans lien avec ceux de détournements de fonds publics et d’abus de biens sociaux qui ont initialement retenu l’attention.

Par Didier Rebut.

Voir sur le Blog du Club des juristes les trois questions à Julie Klein sur la réforme de la prescription pénale.