Alors que l’affaire des Paradise Papers a révélé récemment de nombreuses informations confidentielles sur des sociétés offshores, Pierre Moscovici, le Commissaire européen en charge de la fiscalité, a envoyé des demandes d’informations fiscales à différents Etats, dont l’île de Man et Malte.

Décryptage avec Benoit Delaunay, professeur de droit à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), directeur du Master 2 Fiscalité internationale.

 « La Commission semble enquêter sur plusieurs juridictions fiscales qui n’appliqueraient pas les règles communautaires en matière de TVA »

 Quels dispositifs fiscaux mis en place par l’île de Man et Malte sont-ils visés par les Paradise Papers ?

 Il faut distinguer d’une part les Paradise Papers qui révèlent une série de phénomènes d’optimisation fiscale offshore et montrent, à partir de l’étude de plusieurs millions de documents examinés par un consortium de journalistes, comment certains Etats et contribuables exploitent les failles de la réglementation fiscale, et d’autre part l’action spécifique engagée par la Commission européenne concernant l’île de Man et Malte au sujet de la TVA sur les yachts. La Commission semble enquêter sur plusieurs juridictions fiscales (Etats ou territoires) qui n’appliqueraient pas les règles communautaires en matière de TVA. Sont ainsi concernés l’île de Man et Malte mais la Grèce et Chypre le seraient aussi.

Bien sûr, il y a des recoupements avec les Paradise Papers mais la Commission européenne a demandé dès cet été des demandes de clarification aux autorités maltaise et britannique (car l’île de Man est une dépendance de la Couronne britannique) sur ces questions. Le point de jonction avec les Paradise Papers tient dans ce que ces investigations ont d’ailleurs été lancées à la suite de la révélation des Malta Files qui ont eux-mêmes débouché sur les Paradise Papers.

A Malte, semblent visés des mécanismes fiscaux qui permettent de réduire considérablement le taux de TVA appliqué sur les yachts. Sur l’île de Man, les choses sont un peu plus compliquées puisque l’île n’appartient pas à l’Union européenne mais applique certaines de ses règles dont celles sur la TVA. On la soupçonne d’exonérer de TVA les achats de yachts et de jets privés. Des particuliers ou des entreprises passeraient ainsi par des sociétés-écrans situées sur ce territoire des millions d’euros de TVA lors de l’achat ou de la location de ces engins de luxe. Or, sur ce territoire, les propriétaires de jet ont droit à un remboursement de la TVA. La disposition n’est pas illégale à condition toutefois prouver que l’aéronef sera utilisé à des fins commerciales, et non uniquement personnelles. C’est cela que va vérifier la Commission. La législation européenne sur la TVA autorise des exonérations dans le secteur maritime, mais seulement pour les bateaux affectés à la navigation en haute mer qui assurent un trafic rémunéré de voyageurs ou qui exercent une activité commerciale.

D’ailleurs, il y a quelques années, la Cour européenne de justice avait demandé à la France de mettre fin à l’exonération de TVA dont bénéficient notamment les yachts sous peine de lourdes sanctions financières. Dans son arrêt du 21 mars 2013 (CJUE, 10e ch., 21 mars 2013, aff. C-197/12, Commission c/ France), la Cour de justice rappelait que l’exonération française peut être satisfaite par des bateaux ne gagnant jamais la haute mer.

L’action récente du Commissaire européen chargé de la fiscalité, Pierre Moscovici, constitue un épisode parmi d’autres de la lutte contre la fraude à la TVA qui, si elle est par définition, difficile à évaluer s’élèverait à plus de 150 milliards d’euros par an et emprunte différentes voies dont la fraude carrousel, par laquelle une chaîne d’opérateurs organise la circulation réelle ou souvent virtuelle de biens dans l’enceinte de l’Union européenne et profite des règles de territorialité de la TVA en évitant de la reverser à l’Etat.

 Des sanctions sont-elles envisageables de la part de l’Union européenne ou de ses Etats membres ?

 Si la fraude est avérée, la Commission européenne pourra engager une procédure d’infraction à l’encontre des Etats concernés, comme elle peut le faire dès lors qu’un Etat membre ne respecte pas le droit de l’Union européenne.

Les choses se passent ainsi : la Commission recense les éventuelles infractions au droit européen sur la base de ses propres enquêtes ou à la suite de plaintes de citoyens, d’entreprises ou d’autres parties intéressées. C’est le stade où nous nous situons actuellement.

Lorsque l’Etat membre ne remédie pas à la violation présumée du droit de l’Union européenne, la Commission peut engager la procédure d’infraction qui comporte plusieurs étapes. La Commission commence par envoyer une lettre de mise en demeure exigeant de plus amples informations du pays concerné, qui doit répondre de façon détaillée dans un délai déterminé (deux mois en principe). Si la Commission conclut que le pays ne s’acquitte pas de ses obligations, elle peut décider de lui adresser un avis motivé détaillant ses griefs et lui demandant formellement de se conformer au droit de l’Union européenne. Elle demande également que le pays visé la tienne informée des mesures prises, dans un délai qui est également de deux mois en général.

En l’absence de moyens d’action, l’Union européenne a-t-elle la possibilité de mettre fin à cette pratique ?

Si l’Etat membre continue à violer ses obligations, la Commission peut décider de saisir la Cour de justice. L’hypothèse est rare car la plupart des cas sont réglés avant d’être déférés à la Cour. Si la Cour estime qu’un pays a enfreint la législation de l’Union, les autorités nationales doivent prendre des mesures pour se conformer à l’arrêt de la Cour. Dans le cas où, malgré l’arrêt de la Cour, le pays membre de l’Union européenne ne remédie toujours au problème, la Commission peut le renvoyer devant la Cour. Lorsqu’elle renvoie un pays devant la Cour pour la deuxième fois, la Commission propose à la Cour d’imposer des sanctions financières, qui peuvent être soit une somme forfaitaire soit une indemnité journalière. Ces sanctions sont calculées en tenant compte de l’importance des règles violées et de l’incidence de l’infraction sur les intérêts généraux et particuliers, de la période pendant laquelle le droit de l’UE n’a pas été appliqué et de la capacité de paiement du pays, garantissant l’effet dissuasif de l’amende.

Parallèlement à ces procédures et pour mettre fin à cette pratique, on ne doit pas oublier la pression que peut exercer l’Union européenne sur des Etats particulièrement regardés du fait des Paradise Papers et les actions politiques menées dans le cadre des enceintes politiques européennes.

 Par Benoit Delaunay