La gestation pour autrui (GPA) soulève de nombreuses questions, comme l’inscription d’un enfant né de GPA sur les registres de l’état civil français ou encore son adoption par le ou la conjoint(e) du père biologique sur le sol français. La Cour de cassation a ainsi tenté de répondre à ces interrogations avec l’arrêt rendu le 5 juillet dernier. Décryptage de cette décision avec Antoine Gouëzel, Professeur de droit à l’Université de Rennes 1.

« Ces arrêts signent la victoire du fait accompli»

 Quel est le problème auquel la Cour de cassation est confrontée en matière de gestation pour autrui ?

Le problème ne porte pas sur le principe de la gestation pour autrui : le droit français interdit en effet depuis fort longtemps ce type de convention car elle est vue à la fois comme une exploitation inacceptable de la femme et comme une réification de l’enfant. Le Code civil dispose ainsi en son article 16-7 que « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Le Comité consultatif national d’éthique a d’ailleurs réaffirmé il y a quelques jours son opposition à cette opération.

Le problème auquel les juridictions françaises sont confrontées est celui du sort des enfants nés de gestations pour autrui régulièrement réalisées à l’étranger. On parle de « tourisme procréatif » : un couple, face à l’interdit français, se rend dans un pays étranger (Etats-Unis, Ukraine, Inde…) où la gestation pour autrui est admise pour réaliser cette opération, puis revient en France avec l’enfant. Que faut-il décider pour la filiation de cet enfant ?

Précisons que la question de la gestation pour autrui ne concerne pas seulement, et même pas principalement, les couples homosexuels. Dans la plupart des cas, ce sont des couples hétérosexuels qui ont recours à la gestation pour autrui, car la femme ne peut pas porter d’enfant. Trois des quatre affaires que la Cour a eu à trancher le 5 juillet 2017 concernent ainsi des couples hétérosexuels.

En général, l’homme (ou l’un des hommes) français donne ses gamètes et est donc le père biologique de l’enfant. Quant à la mère biologique, la situation est variable : il peut s’agir de la « mère d’intention » française, de la mère porteuse ou encore d’une autre femme ayant fait un don d’ovocyte.

L’acte de naissance des enfants peut-il être transcrit sur les registres français ?

 Dans l’Etat où est né l’enfant, un acte de naissance a été dressé. Le couple demande alors sa transcription sur les registres d’état-civil français. Cette demande doit-elle être acceptée ?

La réponse de la Cour de cassation est nuancée. Elle affirme dans trois des quatre décisions en cause que, lorsque l’acte de naissance désigne comme père le père biologique français et comme mère son épouse, seule une transcription partielle portant sur la filiation paternelle peut être admise. En revanche, la filiation maternelle ne peut être transcrite car, sur ce point, l’acte de naissance ne correspond pas à la réalité. En droit français en effet, la mère est la femme qui accouche ; par suite, la mère est donc la mère porteuse.

La Cour précise également que, s’agissant de la transcription de la filiation paternelle, aucune analyse d’ADN n’est nécessaire : si l’acte de naissance indique que l’homme français est le père biologique, il n’y a pas de raison d’en douter en l’absence d’élément de preuve en sens contraire.

Ces décisions ne sont pas surprenantes. Il est vrai que la Cour de cassation s’était initialement opposée à toute transcription de l’acte de naissance au motif que l’opération réalisée par les parents était constitutive d’une fraude à la loi française et que la gestation pour autrui violait les principes fondamentaux de notre système juridique. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France en 2014 pour cette position : elle a estimé que le refus de reconnaissance de la filiation paternelle, dès lors qu’elle correspond à la réalité biologique, viole le droit au respect de la vie privé de l’enfant et est contraire à son intérêt supérieur. La Cour de cassation s’est rapidement inclinée en opérant un revirement de jurisprudence dès 2015, dans le prolongement duquel se situent les trois premières décisions commentées. La quatrième est beaucoup plus novatrice.

Le conjoint du père biologique peut-il adopter l’enfant ?

Dans la dernière affaire, l’époux du père biologique a demandé l’adoption de l’enfant. La question n’est pas propre aux couples homosexuels ; elle se pose de la même manière pour les couples hétérosexuels : la « mère d’intention », face à l’impossibilité d’obtenir la transcription de l’acte de naissance pour ce qui la concerne, peut chercher dans l’adoption le moyen d’établir un lien de filiation officiel en France entre elle et l’enfant. En 1991, la Cour de cassation s’était opposée à une telle adoption au motif qu’elle constituait « l’ultime phase d’un processus d’ensemble destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer d’un enfant, conçu en exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère ». En 2017, les Hauts magistrats affirment à l’inverse que cette adoption est possible, peu importe le fait que l’enfant soit issu d’une gestation pour autrui.

Pour ses partisans, la solution est justifiée dans la mesure où l’enfant ne doit pas supporter les conséquences des choix faits par ses parents. Elle évite également l’existence d’une situation bancale, l’enfant bénéficiant d’un lien de filiation à l’étranger mais pas en France, où certaines zones d’ombre subsistent sur son statut juridique.

Cette solution est cependant problématique. Remarquons d’abord que la vie quotidienne de ces enfants ne posait pas de difficultés majeures ; en particulier, une circulaire de 2013 a facilité l’octroi à leur profit d’un certificat de nationalité française. Surtout, la solution retenue aboutit à valider intégralement la fraude commise par les parents : désormais, la filiation maternelle comme paternelle peut être établie. La portée de la prohibition française de la gestation pour autrui est ainsi réduite à néant : il suffit d’aller à l’étranger pour obtenir le résultat défendu. Que reste-t-il de l’article 16-7 du code civil ? La violation de cet interdit, auquel le législateur a pourtant réaffirmé son attachement lors des débats sur le « mariage pour tous », n’est plus assortie d’aucune sanction. Les couples français hésitants ne vont plus hésiter longtemps ! Plus généralement, ces arrêts signent la victoire du fait accompli.

Par Antoine Gouëzel